Facteurs du déclin de la biodiversité et Grande Accélération

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Le système Terre à l'anthropocène
Livre: Facteurs du déclin de la biodiversité et Grande Accélération
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:35

Description

1. A propos de cette séquence

Acquis d'apprentissage

  • Appréhender les sources de données renseignant le déclin de la biodiversité, avec un focus sur la biodiversité spécifique
  • Comprendre le concept de déclin de la biodiversité, incluant les concepts d'extinction, de menace d'extinction et de déclin démographique.
  • Comprendre les chaînes causales à l'origine du déclin des espèces, en sachant distinguer facteurs indirects et directs
  • Mettre en perspective l'impact actuel des activités humaines sur la biodiversité en le replaçant dans l'évolution quantitative de l'impact à l'échelle de l'histoire de l'Humanité

2. Quantifier et comprendre le déclin de la biodiversité

Le déclin de la biodiversité peut être appréhendé intuitivement, en constatant par exemple le macabrement célèbre syndrome du pare-brise : une réduction sensible du nombre d'insectes écrasés sur les pare-brises des voitures durant les trajets. L'hypothèse du déclin relève alors presque de l'opinion et de la subjectivité.

Mais le déclin peut aussi être démontré, plus scientifiquement, en caractérisant, souvent quantitativement, des faits traduisant une perte objective de biodiversité. C'est une tâche difficile, qui demande d'analyser des bases de données couvrant une période de temps suffisamment longue pour identifier une tendance significative au déclin, et qui requiert de disposer d'indices pertinents pour mesurer la biodiversité. Pour être complète, l'étude du déclin intègre une tâche plus difficile encore, qui consiste à comprendre les facteurs qui en sont à l'origine.

Pour cela, l'humanité dispose de plusieurs organismes de dimension mondiale, dont deux majeurs: l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et la Plateforme Intergouvernementale scientifique et politique sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES).

Créée relativement tôt en 1948, l’UICN est "une autorité mondiale en matière de statut du monde naturel". Vaste réseau impliquant gouvernements, organisations de la société civile et expert.e.s, l'UICN effectue notamment un travail considérable de surveillance d'un nombre limité mais croissant d'espèces biologiques qu'il compile dans un document synthétique appelé Liste Rouge.

Créée plus récemment, en 2012, l'IPBES est un organe intergouvernemental sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies (ONU), produisant, en collaboration avec la communauté scientifique, des rapports de synthèse sur l'état de la biodiversité, envisagée aux trois niveaux d'organisation du vivant : diversité écosystémique, diversité spécifique, diversité génétique. Parfois considéré comme le "GIEC de la biodiversité", il pérennise l'étude "Évaluation des écosystèmes pour le millénaire" (MEA) publiée en 2005 à la demande de l'ONU.

2.1. Dynamique de la biodiversité spécifique à l'anthropocène

La liste rouge de l'IUCN regroupe en 2022 les données d'évaluation de 150 388 espèces, soit 7% des 2 161 755 espèces décrites. C'est encore trop peu. Mais, aux biais près, qui font que les animaux vertébrés sont mieux représentés que les invertébrés ou les plantes (respectivement 81%, 2% et 15% des espèces), cela donne une bonne idée de la dynamique actuelle de la biodiversité.

Proportions des espèces existantes (non éteintes) attribuées à chaque catégorie pour les classes contenant au moins 150 espèces et ayant fait l'objet d'une évaluation approfondie (au moins 80% du groupe évalué) :

Proportion d'espèces existantes dans la "Liste rouge de l'UICN des espèces menacé"

Source : Liste rouge de l'UICN des espèces menacées. Version 2022-2. Traduit de l'anglais par UVED

Les espèces sont regroupées en classes (à l'exception des récifs coralliens, qui englobent des espèces appartenant aux classes Anthozoa et Hydrozoa) et sont classées en fonction des lignes verticales rouges, qui indiquent la meilleure estimation de la proportion des espèces existantes considérées comme menacées (CR, EN, ou VU) ou éteintes à l'état sauvage (EW).

Les meilleures estimations du pourcentage d'espèces menacées (avec estimations inférieure et supérieure) pour chaque groupe sont :

  • Cycadacés : 69 % (68-69 %)
  • Amphibiens : 41% (35-50%)
  • Sélection de dicotylédones : 39 % (35-45 %)
    (bouleaux, cactus, magnolias, érables, chênes, famille des protées, hêtres du sud, thés)
  • Requins, raies & chimères : 37% (32-46%)
  • Récifs coralliens : 36 % (31-44 %)
  • Conifères : 34% (34-35%)
  • Sélection de crustacés : 28 % (17-56 %
    (homards, crabes d'eau douce, écrevisses d'eau douce, crevettes d'eau douce)
  • Mammifères : 27% (23-37%)
  • Reptiles : 21% (18-33%)
  • Sélection d'insectes : 16% (11-41%
    (libellules et demoiselles)
  • Oiseaux : 13% (12,8-13,3%)
  • Sélection de gastéropodes : 10 % (8-23 %)
    (ormeaux, escargots coniques)
  • Sélection de poissons osseux : 6% (5-22 %)
    (anchois, harengs, sardines et apparentés ; poissons-anges ; istiophoridés ; blennies ; poissons osseux ; poissons-papillons ; poissons cornet ; courbines et tambours ; poissons-dragons, poissons-lumière et apparentés ; poissons-limes ; syngnathes fantômes ; mérous ; gulpers, bécassines et apparentés ; carangues, pompanos et apparentés ; coccinelles ; poissons-lanternes ; poissons-lézards et alliés ; poissons-globes ; mer dorades, pagres et picarelles ; hippocampes, syngnathes et apparentés ; crevettes ; esturgeons ; chirurgiens, tangs et poissons-licornes ; espadons ; tarpons ; poissons-trompettes ; thons ; labres)
  • Céphalopodes : 1,5 % (1-57 %)
    (nautiles, poulpes, calmars)

Les chiffres à droite de chaque barre représentent le nombre total d'espèces existantes évaluées pour chaque groupe.

Parmi les espèces suivies, certaines depuis l'an 1500, 2 291 espèces (soit 1,5% des espèces décrites) sont classées comme éteintes, dont :

  • 986 éteintes et 1 305 potentiellement éteintes,
  • 2 147 complètement éteintes et 144 éteintes uniquement à l'état sauvage.

1,5% c'est peu comparativement à la magnitude d'une extinction massive, mais la vitesse à laquelle les espèces disparaissent est préoccupante. Et si l'on considère que les espèces suivies représentent bien l'ensemble des espèces, 1,5% c'est potentiellement 32 932 espèces déjà éteintes !

Parmi les espèces suivies, 42 108 (28%) sont classées comme menacées d'extinction, ce qui signifie qu'elles sont exposées à des menaces entrainant un déclin démographique dont le terme est l'extinction. Ce pourcentage varie entre groupes taxonomiques, et cette variation est difficile à discuter tant la représentation de ces groupes est elle aussi variable. 17%, 23% et 40% des espèces suivies de vertébrés, d'invertébrés et de plantes sont classées menacées. Si l'on considère que les espèces suivies représentent bien l'ensemble des espèces, 28% c'est potentiellement plus de 600 000 espèces qui sont aujourd'hui menacées d'extinction!

2.2. Les facteurs à l'origine du déclin de la biodiversité

Les facteurs à l'origine du déclin de la biodiversité sont multiples et il faudrait les envisager au cas par cas pour les identifier précisément. Ce n'est souvent pas une tâche simple tant les espèces sont impliquées, localement, dans des systèmes écologiques d'interactions complexes dans lesquels il est souvent difficile d'isoler un facteur en particulier.

A l'échelle du système Terre, un effort de synthèse effectué notamment par le MEA et l'IPBES ont permis de rassembler les facteurs en grandes catégories organisées sur deux niveaux. On distingue d'abord les facteurs indirects. Ce sont des facteurs distants, qui n'impactent pas directement la biodiversité, mais qui sont à l'origine des facteurs directs qui eux l'impactent directement.

Facteurs indirects

Les facteurs indirects sont ensuite classés en facteurs :

  • culturels, illustrant la place que les sociétés laissent à la nature, largement instrumentalisée dans le monde occidental
  • démographiques, relatant la dynamique des populations humaines, des mouvements migratoires, et de l'urbanisation
  • technologiques, mesurant la capacité d'action sur la nature
  • économiques, analysant l'évolution des modes de production, circulation et consommation des biens
  • politiques, décrivant les outils organisant les sociétés humaines aux échelles nationales et internationales, et leurs capacités à répondre à la crise environnementale

Facteurs directs

Les facteurs directs, dont la nature et l'intensité dépendent des tendances observées sur les facteurs indirects, correspondent à des actions directes sur le monde vivant. Ils sont classés en cinq catégories :

  1. le changement d'utilisation des territoires : le développement urbain et agricole, l'anthropisation des milieux et la dégradation associée des écosystèmes provoque une perte et/ou une fragmentation des habitats, nuisible aux espèces
  2. l'exploitation des ressources vivantes ou minérales : la chasse, la pêche, la cueillette, ou l'extraction d'hydrocarbures et de minerais, métalliques ou non, à des niveaux non soutenables, entraîne un appauvrissement de la biodiversité.
  3. la pollution de l'atmosphère, des eaux ou des sols par des substances toxiques affecte le développement et la survie des organismes.
  4. l'introduction d'espèces envahissantes perturbe les écosystèmes.
  5. le changement climatique modifie les conditions écologiques auxquelles les espèces sont localement adaptées
Image illustrant les facteurs de déclin de la biodiversité, accompagné d'exemples

Source : IPBES (2019) Résumé à l'intention des décideurs du Rapport de l'évaluation mondiale de l'IPBES de la biodiversité et des services écosystémiques

2.3. La grande accélération

Parmi tous ces facteurs, aucun n'est propre à l'anthropocène. En nature, tous le précèdent, peut être depuis la "révolution néolithique" et la "transition démographique agricole", au début de l'Holocène, peut-être avant.

Mais avec l'évolution des connaissances scientifiques et des capacités technologiques depuis la fin du XVIIIe siècle, les dynamiques changent radicalement. Ainsi, la population humaine mondiale, estimée à environ 1 milliard de personnes en 1800, soit après des centaines de milliers d'années d'évolution de notre espèce, est multipliée par 8 depuis, soit en à peine plus de deux siècles. Estimée à 2,5 milliards en 1950 (x2,5 en 150 ans), elle a été multipliée par plus de 3 depuis. La dynamique démographique n'est donc pas linéaire mais exponentielle, soit toujours plus rapide à une période qu'à la période précédente. Une telle dynamique exponentielle des facteurs tant indirects que directs a été depuis illustrée à partir du suivi d'un nombre limité de paramètres quantitatifs, estimant en parallèle :

  • le niveau de développement socio-économique de la population humaine (facteurs indirects)
  • l'évolution du système Terre (facteurs directs)

Le niveau de développement socio-économique de la population humaine

Facteurs indirects (exemples de paramètres suivis) :

  • taille de la population mondiale
  • PIB mondial
  • niveau de consommation d'énergie, d'engrais, d'eau
  • nombre de véhicules motorisés en circulation
  • nombre d'abonnements téléphoniques, etc.
Graphiques montrant la grande accélération

Lisa Deutsch, Steffen et al. "The trajectory of the anthropocene : the Great Acceleration" (2015) 

L'évolution du système Terre

Facteurs directs (exemples de paramètres suivis) :

  • concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre,
  • température moyenne annuelle mondiale à la surface de la planète,
  • acidité des océans,
  • part de la surface terrestre occupée par des terres domestiquées,
  • niveau de pollution azotée des eaux côtières, etc.
Graphiques montrant l'évolution du système Terre

Lisa Deutsch, Steffen et al. "The trajectory of the anthropocene : the Great Acceleration" (2015)

Ce phénomène, baptisé "la grande accélération", expliquerait pourquoi l'impact de l'espèce humaine sur le fonctionnement du système Terre serait, comme le suggère le concept d'anthropocène, d'un niveau comparable à un agent géologique. L'accélération serait particulièrement marquée depuis le début des années 1950. Pour cette raison, la date est proposée, parmi d'autres, comme marquant le début de l'anthropocène.

3. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrage
Articles

Pour aller plus loin...

Ouvrage
Article
  • Rapport planète vivante 2020. WWF. 2020. Living Planet Report - 2020: Bending the curve of biodiversity loss. Almond, R.E.A., Grooten M. and Petersen, T. (Eds). WWF, Gland, Suisse
  • Rapport planète vivant 2022. WWF. 2022. Rapport Planète Vivante 2022 - Pour un bilan « nature » positif. Almond, R.E.A., Grooten, M., Juffe Bignoli, D. & Petersen, T. (Eds). WWF, Gland, Suisse
Sites web
Vidéo

4. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023