Du monde clos à l'univers infini

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Du monde clos à l'univers infini
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:24

Description

1. A propos de cette séquence

Acquis d'apprentissage

  • Nommer cinq grandes caractéristiques de la représentation du Monde des Grecs Anciens et dire en quoi elles diffèrent des idées de la Modernité
  • Comprendre les changements radicaux intervenus dans la représentation du Monde et de la Nature entre l'Antiquité et le monde moderne

2. La représentation du monde depuis l'Antiquité

L'Antiquité grecque telle qu'elle nous est décrite par exemple par l'historien Jean-Pierre Vernant (dans "Mythe et pensée chez les Grecs") présente les caractéristiques suivantes :

La cosmologie grecque divise le Monde en deux parties :

  • le monde sublunaire, en dessous de la Lune, est le nôtre. Il est mouvant, soumis à la génération et à la corruption, et ne peut pour cette raison faire l'objet d'une science.
  • le monde céleste au contraire, formé de la Lune, du Soleil, des planètes, des étoiles est fixe et parfait. Lui seul peut faire l'objet, avec les Idées, d'une véritable science car il n'y a de science que celle qui connaît des objets immuables.

Il ne peut y avoir de rapprochement entre la science et la technique dans la mesure où la technique ne s'applique qu'à des réalités mouvantes et que la science ne peut s'intéresser qu'à des réalités immobiles. C'est ce qui explique ce que certains considèrent comme un « blocage de la pensée technique chez les Grecs ». Cette représentation du monde dans laquelle la Terre est au centre du monde, immobile pendant que les astres tournent autour d'elle selon des cercles concentriques constituera le système décrit par Ptolémée (ou géocentrisme) au deuxième siècle après JC et ne sera remis en cause qu'à partir du XVe siècle.

Dans l'Antiquité grecque, le temps n'est pas orienté mais cyclique, et ramène à échéances régulières les mêmes événements, il n'y a donc pas de progrès.

Il n'y a pas de séparation entre l'Humain et la Nature : la Nature n'est pas un objet face à un sujet qui a vocation à la transformer. L'humain n'est pas un créateur qui ajoute de la valeur à l'objet : il est juste un imitateur qui fait descendre une forme (l'Idée, l'Essence, qui est un modèle) dans une matière.

Complément : Claude Ptolémée et l'Almageste

Claude Ptolémée est un astronome grec qui a vécu au deuxième siècle après Jésus-Christ à Alexandrie. Il consigne dans l'"Almageste" l'ensemble des observations astronomiques de ses prédécesseurs et conforte le modèle géocentrique d'Hipparque, qui sera le modèle de référence jusqu'à sa remise en cause par Nicolas Copernic.

Il s'appuie sur les textes de Platon et d'Aristote : la Terre est une sphère qui est au centre de l'univers, immobile de lieu et de position. La Terre est entourée d'une sphère d'eau, d'une sphère d'air et d'une sphère de feu. Toutes ces sphères tournent de manière uniforme autour d'un même axe. Les mouvements des planètes (Soleil, Lune, mais pas la Terre) sont parfaits, donc concentriques. Comme Platon l'avait indiqué dans son Timée, il s'agit pour Ptolémée de « sauver les apparences » c'est-à-dire de construire un modèle qui explique les orbites chaotiques des planètes.

2.1. La rupture de la Genèse : création du Monde et d'un humain image de Dieu

C'est l'ensemble de ce système de représentation qui va être peu à peu remis en cause au cours des siècles. La thèse de l'historien américain Lynn White est particulièrement intéressante sur le sujet, même si elle est très controversée (le pape lui-même prendra la plume pour montrer sa fausseté dans son encyclique « Sur la sauvegarde de la maison commune »). En effet, dans une conférence en 1966 devant un parterre de scientifiques américains, puis dans un article publié en 1967, il soutient que le basculement écologique que nous vivons s'explique par la rupture qu'introduit la Bible, et notamment la Genèse, dans les représentations des rapports entre Homme et Nature.

Lynn White fonde son analyse sur l'idée que « ce que les gens font de leur milieu écologique dépend de la façon dont ils perçoivent leur relation aux choses qui les entourent ». Certes, on a inventé en Occident une nouvelle charrue permettant de retourner beaucoup plus efficacement la terre qu'auparavant mais cette invention technique comme les suivantes ont été permises, selon lui, par une nouvelle représentation des relations entre humains et Nature dont Lynn White voit l'origine dans le texte de la Genèse. Voici ce que dit ce texte, sans doute écrit autour du Ve siècle avant JC.

1.26 : Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

1.27 : Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu ; il créa l'homme et la femme.

1.28 : Dieu les créa et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre

La Genèse propose un récit de la création du Monde où Dieu fait l'Humain à son image et lui demande de dominer et d'assujettir la Nature et les autres espèces. Le judéo-christianisme – « la religion "la plus anthropocentrique" à avoir jamais existé » selon White – aurait ainsi introduit une nouvelle cosmologie, c'est-à-dire une nouvelle manière de représenter l'Humain dans la Nature, à la place de celle qui existait. Dans cette nouvelle cosmologie, l'Humain est créé à part de la Nature, transcendant à elle et ayant pour vocation de la transformer pour ses propres fins.

Nous avons le sentiment de ne pas être partie prenante d'un processus naturel. Nous nous sentons supérieurs à la Nature, nous la méprisons, nous voulons l'utiliser pour satisfaire le moindre de nos caprices.

— Lynn White, Les racines historiques de notre crise écologique, 2019

Selon White, la Nature, création de Dieu, a été en même temps vidée des esprits qui l'habitaient dans l'Antiquité, ce qui a permis son exploitation. Le judéo-christianisme est donc selon lui le terreau à partir duquel toutes ces nouvelles idées – y compris l'idée d'un temps orienté avec un début, la création du Monde, et une fin, la Fin des temps – ont peu à peu essaimé et se sont diffusées au long du Moyen-Âge occidental. Il affirme que la croyance judéo-chrétienne implicite en un progrès continu était inconnue à la fois de l'Antiquité Gréco-romaine et de l'Orient Ancien. Lynn White montre finalement comment ce texte ancien – la Genèse – a eu des effets tout au long des siècles suivants en autorisant certaines idées et pratiques qui n'auraient pas été acceptées auparavant.

Il rend ainsi également responsable la Modernité et en particulier deux auteurs : Francis Bacon et René Descartes.

2.2. La fin du géocentrisme


Portrait de Nicolas Copernic
Portrait de Nicolas Copernic
(Anonyme, 1580)


Dès les années 1511-1513, Nicolas Copernic qui observe les astres à partir d'une église, en Pologne, comprend les impasses radicales du système géocentrique et écrit un court traité qui expose le système héliocentrique.

C'est en 1543 qu'il publiera son ouvrage majeur, qui sera mis à l'index par l'Eglise. On parle de révolution copernicienne tant cette nouvelle thèse scientifique remit en cause les représentations du Monde, notamment celles défendues par l'Eglise.  Ce n'est pas qu'une question pour astronomes à lunettes, c'est toute la vision du Monde et de ce que doivent y faire les Humains qui change. Alors que le système de Ptolémée plaçait l'Humain au centre de la terre, immobile et au centre de l'Univers, les découvertes majeures de Copernic (1543) puis Galilée, Képler et Newton infligent aux humains une « blessure narcissique ». A partir de ce moment, on passe, comme l'écrit Alexandre Koyré, "Du monde clos à l'univers infini".

[L'Univers est] écrit dans une langue mathématique, et les caractères en sont les triangles, les cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible humainement d'en saisir le moindre mot ; sans ces moyens, on risque de s'égarer dans un labyrinthe obscur.

— Galilée

En même temps qu'elle devient complètement accessible par les sciences et la raison, la Nature est définitivement vidée de ses puissances magiques, réduite à la matière et l'étendue. L'augmentation du savoir humain et sa possible domination de la Nature vont de pair avec un désenchantement de celle-ci.

2.3. L'avènement de la modernité

Francis Bacon est un philosophe anglais considéré comme le père de l'empirisme. Il présente les règles de la méthode expérimentale en 1620 et exprime dans "La Nouvelle Atlantide" ce qui sera considéré comme un des mots d'ordre de la pensée Moderne.

Portait de Francis Bacon

Notre Fondation a pour fin de connaître les causes, et le mouvement secret des choses ; et de reculer les bornes de l'empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles.

— Bacon

Il y raconte l'histoire de marins qui se sont perdus et ont échoué sur une île. L'île abrite la Maison de Salomon, une société de savants qui vouent leur vie aux découvertes scientifiques. Le Père de la Maison de Salomon révèle ses secrets aux marins – il leur explique notamment toutes les expériences et tous les artifices que les savants organisent - et leur demande d'aller les raconter au reste du monde.

Quelques années plus tard, en 1637, le philosophe René Descartes, dans le "Discours de la méthode" (sous-titré "Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences") propose de rompre avec la philosophie du Moyen-Âge et écrit que si nous utilisions bien les sciences nous pourrions « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ». C'est également Descartes, considéré comme le père du rationalisme moderne, qui instaure une stricte séparation entre le sujet (le Moi) et le reste du Monde.

3. Idées d'activités

En lien avec la séquence

4. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Philippe Descola, Par-delà Nature et culture, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2005
  • Alexandre Koyré, Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, coll. Tel, 1973
  • Dominique Méda, La mystique de la croissance. Comment s'en libérer, Champs-Flammarion, 2014 
  • Lynn White, Les racines historiques de notre crise écologique, PUF, 2019

5. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023