Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène : qui est responsable ?

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Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène : qui est responsable ?
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:37

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Comprendre le procès qui est fait aujourd'hui à l'humanité d'avoir détruit la Nature
  • Savoir à quoi se rapportent les notions d'anthropocène, de capitalocène et de plantationocène

2. L'anthropocène : le procès de l'humanité

Avec les travaux scientifiques de plus en plus inquiétants sur le changement climatique et la perte de biodiversité, le procès de la rationalisation et de l'Occident s'est ouvert.

Une "autre histoire des Trente Glorieuses" commence à être écrite, qui montre que les bienfaits de la modernisation se sont aussi accompagnés de dégradations. C'est le verso de la médaille. La Révolution industrielle et les Trente Glorieuses se sont accompagnés d'une production industrielle énorme, d'une accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, d'extraction de ressources fossiles et minerais gigantesque et de quantités de déchets de plus en plus élevées.

Paul Crutzen forge le terme d'anthropocène, « l'ère de l'humain », à la fin du XXe siècle pour désigner une nouvelle époque géologique qui aurait débuté à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle (Crutzen la fait débuter en l'an 1784, date de l'invention de la machine à vapeur) et succéderait ainsi à l'Holocène. Le terme d'Anthropocène vient du grec : (anthropos, « être humain ») et καινός (kainos, « nouveau », suffixe renvoyant à une époque géologique). L'Anthropocène serait donc la période durant laquelle l'être humain serait devenu une « force géologique » majeure. La période la plus récente de l'Anthropocène – depuis 1945 - est qualifiée de « Grande accélération » car elle se caractérise par l'augmentation accélérée de la concentration de CO2 et les tendances exponentielles de certaines courbes comme le met en évidence un très important article de Rockström et al. « A safe operating space for humanity » paru dans la revue Nature en 2009, qui liste les neuf limites planétaires dont certaines ont déjà été franchies.

Ces travaux recoupent de nombreux diagnostics réalisés depuis longtemps au XXe siècle, par exemple la mise en cause par Bertrand de Jouvenel de la volonté humaine de « Toujours plus », ou encore la cupidité qui pousserait l'humanité à mettre toujours plus la Nature en coupe réglée pour satisfaire ses besoins infinis.

2.1. Capitalocène et plantationocène

L'usage du terme "anthropocène" peut sembler accuser l'humanité tout entière d'être responsable de la dégradation que nous constatons. Un certain nombre d'auteurs ne sont pas d'accord avec l'idée de responsabilité de l'humanité entière et préfèrent incriminer certains pays, notamment l'Angleterre, qui ont promu la révolution industrielle et développé un processus capitaliste particulièrement destructeur, raison pour laquelle on qualifierait l'ensemble de Capitalocène.

Dans son ouvrage "L'Anthropocène contre l'histoire" (La Fabrique, 2017), Andreas Malm défend la thèse qu'au début du XIXe siècle, en Angleterre, la machine à vapeur alimentée par le charbon a été adoptée malgré la supériorité de l'énergie hydraulique (moins chère, abondante, plus puissante) parce qu'elle facilitait l'exploitation de la main-d'œuvre docile présente dans les villes. « La compulsion d'augmenter l'échelle de la production matérielle n'est pas un attribut de l'espèce humaine mais une propriété émergente des rapports de propriété capitalistes. A partir du moment où les producteurs et les moyens de production ont été séparés, cette compulsion était inscrite dans la structure même de la production », écrit-il.

De là l'expansion sans fin de la production, la recherche effrénée de nouveaux gisements de charbon, la production exponentielle d'émissions de gaz à effet de serre. De là, le « capitalisme fossile », processus auto-alimenté brûlant tout sur son passage. De là – de ce lieu, de ce moment et de ce petit ensemble de personnes – la mise en péril de la vie de tous sur Terre, y compris les 2 milliards de personnes qui vivent sans avoir accès à l'électricité.

S'inscrivant toujours dans la perspective d'une nouvelle époque caractérisée par une destruction accélérée de l'habitat humain, d'autres auteurs encore mettent en cause l'Occident et son expansion coloniale : le terme « Plantationocène » est alors utilisé « pour nommer la transformation dévastatrice de divers types de fermes humaines, des pâturages, et des forêts en plantations extractives et fermées, qui se fondent sur le travail des esclaves et d'autres formes de travail exploité, aliéné, et généralement spatialement déplacé » selon Malcom Ferdinand.

2.2. Par-delà nature et culture

Dans "Par delà Nature et culture", l'anthropologue Philippe Descola montre, que de l'Amérique du Sud à l'Océanie en passant par le détroit de Béring et les plaines mongoles, il existe de multiples exemples de sociétés et de cosmologies dont la dualité nature/culture est absente. La manière dont l'Occident moderne se représente la nature est la chose « la moins bien partagée » sur la planète. Il est faux de penser que la séparation entre humains et non-humains correspond à un stade plus avancé dans l'évolution de l'humanité : on constate l'absence d'un tel partage dans une société « avancée » comme le Japon contemporain.

Il existe donc différentes manières pour les humains d'organiser leur rapport au monde selon des schèmes qui permettent à un individu de donner du sens à ses perceptions, d'organiser ses émotions et sa pensée, d'interpréter des événements et de les communiquer au sein de sa communauté.

Descola montre que dans le monde le naturalisme (ou la séparation humain/Nature) est typiquement occidental et qu'il existe d'autres manières d'envisager les rapports entre humains et nature ou quatre types de cosmologies. Par exemple l'animisme, dont parlait Lynn White, présente un ordre naturel hérité d'une époque où humains, animaux et plantes n'étaient pas différenciés. Les animaux et les plantes sont, au-delà des différences corporelles et biologiques, des « sortes d'humains déguisés » et partagent avec ces derniers la subjectivité, la conscience, l'intentionnalité.


Ressemblance des
intériorités
Différence des
intériorités
Ressemblance des physicalités
Totémisme Naturalisme
Différence des physicalités
Animisme Analogisme

Adapté de "Une histoire des relations humains/Nature" par D. Méda, A. Ben Dhia et E. Delaherche, Université Paris Dauphine

3. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Philippe Descola, Par-delà Nature et culture, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2005.
  • Alexandre Koyré, Du monde clos à l'univers infini, Gallimard, coll. Tel, 1973.
  • Dominique Méda, La mystique de la croissance. Comment s'en libérer, Champs-Flammarion, 2014.
  • Lynn White, Les racines historiques de notre crise écologique, PUF, 2019.

4. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023