Petite histoire de la croissance et de ses dégâts

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Petite histoire de la croissance et de ses dégâts
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:30

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Décrire les grandes étapes de la croissance depuis l'an 1000
  • Expliquer quelles ont été les critiques faites à la croissance notamment ce qui se cache derrière l'expression "les dégâts de la croissance"
  • Lister les facteurs explicatifs de la croissance proposés par différents auteurs

2. L'évolution de la croissance

L’économiste britannique Angus Maddison a reconstitué des séries longues et détaillées d’évolution de la croissance. Ses travaux révèlent qu’autour de l'An mil, le revenu des habitants de l'Europe de l'Ouest était à son point le plus bas et inférieur à celui de la Chine, mais aussi de l'Inde et d'autres régions de l'Asie de l'Est et de l'Ouest.

Le tournant s'est opéré au XIe siècle, époque à laquelle l'ascension de l'Europe de l'Ouest a commencé. C'est au XIVe siècle que l'Europe de l'Ouest a rattrapé la Chine (première économie d'Asie) en termes de revenu par habitant. 1820 marque un véritable point de rupture avec le début de la révolution industrielle : la progression du revenu des Européens s’accélère. Il ne s'agit pour autant que d'un début et les rythmes de croissance deviennent encore très différents par la suite. Maddison résume ainsi les étapes de la croissance européenne, qui apparaît dans sa singularité :

« Nos données statistiques macroéconomiques font ressortir le caractère exceptionnel, dans le développement mondial, de la performance économique sur le long terme de l'Europe occidentale : en l'an 1000, son niveau de revenu était tombé en deçà de celui de l'Asie et de l'Afrique du Nord ; au XIVe siècle, à l'issue d'une longue résurrection, elle avait rattrapé la Chine (premier pays du monde) ; en 1820, ses niveaux de revenu et de productivité étaient plus de deux fois supérieurs à ceux du reste du monde ; en 1913, le niveau de revenu de l'Europe occidentale et des pays d'immigration européenne était plus de six fois supérieur à celui du reste du monde »

— Maddison

Part des pays dans le PIB Mondial de l'an 1 à 2008

Statistics on world population, GDP and per capita GDP 1-2008, Angus Maddison, University of Groningen

De 1,65 % entre 1820 et 1870, le taux de croissance annuel de la production européenne passe à 2,10 % entre 1870 et 1913. Mais c'est la période 1950-1973 qui est la plus frappante, le taux de croissance annuel étant cette fois de 4,8 %. Maddison appelle la période 1950-1973 « l'âge d'or » :

« L'économie mondiale progressa bien plus vite entre 1950 et 1973 qu'elle ne l'avait fait auparavant ; ce fut une période de prospérité inégalée, un âge d'or. Le PIB mondial a progressé de près de 5 pour cent par an et les échanges mondiaux de près de 8 pour cent. Ce dynamisme touchait toutes les régions, mais l'accélération était surtout visible en Europe et en Asie. Il y eut aussi un certain degré de convergence entre régions, même s'il s'agissait surtout d'un resserrement de l'écart entre les États–Unis et les autres pays capitalistes avancés (l'Europe occidentale et le Japon). Le PIB mondial a été multiplié par six entre 1950 et 1998, avec un taux annuel moyen de croissance de 3.9 pour cent par an, contre 1.6 pour cent entre 1820 et 1950 et 0.3 pour cent entre 1500 et 1820. Cette accélération de la croissance a servi en partie à soutenir l'accroissement plus rapide de la population, mais le revenu réel par habitant a progressé de 2.1 pour cent par an, contre 0.9 pour cent entre 1820 et 1950 et 0.05 pour cent entre 1500 et 1820. Il a donc augmenté 42 fois plus vite qu'à l'époque protocapitaliste, et plus de deux fois plus rapidement que pendant les 13 premières décennies de l'époque capitaliste. Au cours du dernier millénaire, la population mondiale a été multipliée par 22, le revenu par habitant par 13 et le PIB mondial par près de 300 ».

— Maddison

2.1. Les facteurs de ce changement

Les facteurs explicatifs de ce changement majeur sont légion et les thèses sujettes à débat.

  • Keynes considérait que l'origine de l'ensemble du processus datait de l'accumulation de capital provoquée au XVIe siècle par l'arrivée en Europe de l'or et de l'argent du Nouveau Monde.
  • Angus Maddison met de son côté l'accent sur une pluralité de causes et notamment sur les facteurs socio-institutionnels apparus progressivement durant la Renaissance et le siècle des Lumières : parmi ceux-ci, « le fondement le plus important fut la reconnaissance de la capacité humaine à transformer les forces de la nature par le biais de la méthode scientifique rationnelle et de l'expérimentation. C'est en effet à partir du XVIIe siècle que les élites occidentales ont abandonné la superstition, la magie et la soumission à l'autorité religieuse ». On reconnaît ici l'influence des travaux du sociologue allemand Max Weber qui a souligné dans ses oeuvres l'importance déterminante du processus de rationalisation et de désenchantement du monde dans le développement du capitalisme.
  • Pour Weber, la domination de la magie a constitué l'un des freins les plus puissants à la rationalisation de la vie économique : elle implique en effet une « attitude stéréotypée face à la technique et à l'économie ». Weber donne l'exemple d'un conflit en Chine, à propos de la construction de voies de chemins de fer et d'usines vivement critiquée parce qu'elle risquait, dans certains sites, de perturber le repos des esprits.

Le sociologue avait relevé d'autres conditions nécessaires à la naissance du capitalisme, avec pour corollaire l'augmentation de la production ; en premier lieu « l'usage d'un compte de capital rationnel comme norme », c'est à dire un dispositif permettant à toutes les grandes entreprises lucratives de calculer leurs coûts de production, et visant leur rentabilité. Cela n'est pas sans lien évidemment avec le développement, au milieu du XXe siècle, de la comptabilité nationale - qui ne fera qu'organiser et systématiser au niveau national cet usage. Weber ajoute que cette condition présuppose elle-même : une appropriation de tous les moyens matériels de production par des entreprises lucratives autonomes privées qui en ont la libre jouissance ; la liberté du marché ; une technique rationnelle (c'est-à-dire calculable) tant en ce qui concerne la production que le trafic ; un droit rationnel (c'est à dire lui aussi calculable) ; le travail libre ; une commercialisation de l'économie.

Maddison, synthétisant les nombreux travaux consacrés à ces questions, continue ainsi son recensement des facteurs explicatifs de la croissance :

« Le second pilier commun de la civilisation capitaliste occidentale était la vision qu'elle donnait au rôle de l'entrepreneur. L'abolition des contraintes féodales sur l'achat et la vente des propriétés, la création d'un système légal non discrétionnaire de protection des droits de la propriété, le développement d'un système de comptabilité et de codes de commerce rendirent possible l'exécution des contrats sur une plus large échelle et permirent un calcul rationnel des profits et des pertes. Enfin, l'accroissement du nombre d'institutions et d'instruments financiers dignes de foi contribua à atteindre ce but plus rapidement; les perceptions d'impôt devinrent plus prévisibles et moins arbitraires »

— Maddison

2.2. Les dégâts de la croissance

Personne ne peut remettre en cause les bienfaits que la croissance a amenés avec elle : 

  • progrès de l'hygiène et de la médecine entraînant la diminution de la mortalité infantile et augmentant l'espérance de vie en bonne santé, 
  • diminution des famines dans le monde, 
  • progrès dans l'éducation et dans la connaissance. 

Jean Fourastié a illustré de manière imagée ces progrès dans son fameux ouvrage,  "Les Trente Glorieuses", où il compare les niveaux de vie de deux villages, l'un « sous-développé » et l'autre présentant un niveau très élevé de développement économique, alors qu'il ne s'agit que d'un seul, considéré à deux dates différentes, 1946 et 1975.

La décennie 1970 est pourtant celle qui s'avère la plus critique et attire l'attention sur les dégâts dont s'accompagne la croissance. Le club de Rome, une sorte de think tank regroupant quelques personnalités aux profils diversifiés commande en 1970 un rapport à des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology, dont les Meadows, qui rendent celui-ci en 1972 sous le titre : " Limits to Growth". Il va devenir un best-seller mondial. 

L'équipe du MIT construit un modèle dont les variables principales sont :

  • la population globale, 
  • la superficie cultivable par individu, 
  • les ressources naturelles restantes, 
  • le quota alimentaire par personne, 
  • la production industrielle par tête, 
  • le capital industriel global, 
  • le niveau de pollution, etc. 

De très nombreuses relations, ou "boucles", lient les évolutions de ces variables entre elles. Par exemple, la croissance du produit industriel par tête contribue à la croissance du capital industriel, qui lui-même engendre une augmentation de la production agricole, mais aussi la croissance de la pollution, ou encore, la croissance de la pollution influe de manière négative sur l'espérance de vie, et donc sur la taille de la population, ce qui en retour agit dans le sens d'une pollution moins importante, etc. 

L'équipe construit plusieurs scénarios et met en évidence que, quel que soit le scénario, la croissance perpétuelle conduira tôt ou tard à un dépassement des limites matérielles, suivi d'un "effondrement". Même si le progrès technologique est intense, que nous recyclons et contrôlons la pollution, l'équipe indique que l'effondrement se produira avant 2100.

Ce modèle va être très fortement critiqué notamment par l'économiste américain William Nordhaus au prétexte notamment qu'il n'intègre pas les prix : ces derniers sont censés assurer un rôle de régulation. Si une ressource naturelle vient à manquer, son prix est censé augmenter et les utilisateurs se porter vers des substituts – comme s'il existait des substituts pour toutes les ressources.

Presque quatre décennies ont permis d'évaluer la pertinence du rapport Meadows ou des critiques de ses détracteurs. En 2008, un chercheur australien, Graham Turner, confronte les données historiques de 1970 à 2000 avec les trois évolutions simulées par le modèle des Meadows en 1970. Il met en évidence la validité de la plupart des prévisions de l'équipe.

3. Idées d'activités

Questions de réflexion

  • En termes de revenu par habitant, à quel siècle l'Europe de l'Ouest a rattrapé la Chine ?
  • Quels sont les facteurs explicatifs de la croissance listés par Angus Maddison ?
  • Qu’est-ce qu’a produit le Club de Rome au début des années 1970 ?

4. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Fourastié J., 1979. « Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible », Paris, Editions Fayard
  • Jany-Catrice F. et D. Méda, 2022. « Faut-il attendre la croissance ? », La Documentation française.
  • Maddison A., 2001. « L’économie mondiale. Une perspective millénaire », Etudes du Centre de Développement, OCDE.

Pour aller plus loin...

Vidéos
  • Le rapport Meadows, Arnaud Diemer, Mooc Environnement et Développement Durable - UVED (7'29)

5. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition : octobre 2023