Le développement durable à l'épreuve des idéologies

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Le développement durable à l'épreuve des idéologies
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:20

Description

1. A propos de la leçon

Acquis d'apprentissage

  • Prendre conscience que les idéologies politiques structurent l’espace public, bien qu’elles soient occultées par la politique politicienne
  • Saisir qu’elles s’opposent les unes aux autres, qu’elles ne sont pas des exposés faits par des chercheurs ou des professeurs : elles cherchent à produire des effets
  • Comprendre qu’elles se jouent à l’échelle des masses et non des individus

2. Le rôle des idéologies

L’histoire humaine est marquée par des mouvements d’idées, qui animent les individus et les foules. Libéralisme, socialisme, écologisme… Ces idées jouent un rôle majeur dans le débat politique et donc dans la détermination des politiques publiques, notamment en matière de développement durable.


2.1. Y a-t-il une science des idées politiques ?

Les objets sociaux doivent être décrites comme des choses, disait Émile Durkheim, l’un des fondateurs de la sociologie. Les idéologies politiques ne font pas exception. Elles désignent les idées qui animent le débat politique au sens large.

Quelques conditions doivent toutefois être remplies, pour éviter les erreurs les plus courantes, sur le plan de la méthode :

  • Comprendre que les idéologies politiques sont des idées performatives, c’est-à-dire qu’elles cherchent à provoquer un effet, sur les destinataires, et sur les autres idéologies.
  • Saisir qu’une idéologie forme un tout cohérent, certes susceptible de compromis ; que s’en tenir à des traits épars induit en erreur et empêche la compréhension, des traits similaires en apparence (exemple : le soutien à l’économie de marché) pouvant avoir un sens très différent une fois remis en perspective.
  • Ne pas confondre la politique politicienne, souvent faite de conflits d’egos, de petites manœuvres, de jeux de carrière etc. avec les grandes idées politiques qui structurent le débat en arrière-plan et sur une temporalité plus longue.
  • Saisir que les concepts politiques sont controversés : ils sont objet d’incessants débats. En cela cependant ils ne divergent pas des concepts mobilisés dans d’autres sciences, y compris de la nature.

2.2. Quelles sont les grandes idéologies politiques ?

L’époque moderne considère qu’elles sont au nombre de trois :

  • le libéralisme
  • le socialisme
  • et le conservatisme.

L’écologisme émerge plus tardivement.

Si les idées politiques telles que le féminisme, l’antivalidisme ou l’antiracisme ne sont pas considérées comme des idéologies politiques, c’est parce que leur objet est partiel : elles n’ont pas de vision structurée de l’organisation générale de la société, elles ne focalisent que sur un aspect ou un autre. Ce critère est discutable mais généralement admis.

2.3. Quel lien avec l’économie ?

Toutes les idées politiques ont leur avis sur la place que doit tenir l’économie. Le français ne distingue pas l’economy, comme pratique, de l’economics, comme théorie. La distinction est importante, dans la mesure où nous sommes contraints de saisir cette pratique au travers des grilles que proposent les économistes.

2.4. Le libéralisme

Pour l’école économique dite "néoclassique", les prix se fixent par la loi de l’offre et de la demande, y compris le montant des salaires. Cette explication de l’économie est congruente avec le libéralisme, qui repose sur trois piliers :

  • le marché autorégulateur
  • l’état de droit
  • et le gouvernement représentatif

Le marché autorégulateur ou "main invisible" repose sur plusieurs dimensions complémentaires. La division du travail en opérations simples et répétées permet de produire plus dans un temps donné (productivité). L'échange à bénéfices mutuels permet à tous de s’enrichir. Plutôt que de produire chacun de son côté, le vin cher en Angleterre et le tissu cher au Portugal, les deux pays échangent du tissu contre du vin et se trouvent tous deux plus riches : ce sont les "avantages comparatifs". Cette logique de l’échange demeure la même jusqu’à nos jours, ainsi que le dit Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008. L’échange définit aussi une conception particulière du travail, comme activité générant la valeur ajoutée.

Léon Walras introduit l’idée que tous les marchés sont interconnectés entre eux, y compris le marché du travail, produisant un « équilibre général » des valeurs et des quantités produites, un ordre qui s’ajuste par les prix et les quantités. Le travail reçoit aussi son prix de cette manière-là : quand une compétence est rare, elle est fortement rémunérée, parce qu’elle fait l’objet d’enchères à la hausse. Le mécanisme de régulation est automatique et s’il connaît des crises, qui peuvent être graves, il finit toujours par se rétablir, au travers de l’ajustement marginal. Chacun est responsable de rentrer dans le jeu de l’échange.

Le libéralisme a trois manières d’envisager le rapport de l’État et du marché.

  • Pour la première, le marché est spontané car il résulte de la nature humaine. Il est l'expression de la liberté. C'est sur cette base que le FMI attend dans les années 1990 que les politiques de privatisation réalisées après la chute de l'Union Soviétique qu'elles libèrent l'initiative et le choix individuel.
  • La seconde considère que le marché doit être organisé. L’État assure les droits civils et politiques, organise les conditions d'une concurrence « libre et non faussée » contre les cartels et les monopoles. C'est la base de l'organisation du Marché Commun de l'Union Européenne ou des lois antitrust aux États-Unis.
  • Le troisième assigne à l’État une fonction sociale de correction des inégalités et injustices entre individus, qu'elles soient de richesse ou de liberté : c'est le « libéralisme social » ou « socialisme libéral » de J.S. Mill, qui soutient l'État-providence. Tous considèrent que les différends doivent se régler par l’intermédiaire du droit, qui a une fonction stabilisatrice.

Le libéralisme inclut un rapport au risque. L’entrepreneur est celui qui change l'ordre des choses en provoquant un déséquilibre sous la forme d’une nouvelle combinaison de travail et de capital. D’où les « révolutions industrielles » telles que chemin de fer, le textile, le pétrole ou l'électricité et plus récemment technologies de l’information. Le risque est lié à une anticipation de l’avenir. Il a un prix : le taux d’intérêt. Plus le projet est risqué, plus l’argent est difficile à obtenir et donc cher. Mais les projets les plus risqués peuvent aussi être ceux qui rapportent le plus. L’argent (le profit) et le prestige sont la rémunération de l’entrepreneur, que protège la propriété privée. C’est l'une des raisons qui expliquent que les libéraux soient plutôt en faveur des OGM ; mais qu’ils puissent aussi se montrer hostiles au nucléaire, dans la mesure où celui-ci implique des risques qu’aucune assurance privée ne peut couvrir.

2.5. Le socialisme

Le socialisme naît vers 1800 en réaction à ce qu’il considère comme l’anarchie créée par le laisser-faire libéral. Les grands noms sont Robert Owen, Pierre Leroux, Saint-Simon, Proudhon et plus tard Karl Marx. Tous s'accordent pour voir dans le nouvel ordre industriel un nouvel esclavage, un nouveau féodalisme, le travailleur étant rendu dépendant d'un marché d'autant plus imprévisible que les produits issus des premières fabriques sont des articles de luxe sujets à des effets de mode (textile).

Face à la misère, la clé est l'organisation du travail. Les méthodes diffèrent : économie solidaire, organisation par l’État etc. Toutes remettent en cause le caractère absolu de la propriété. L’esprit de propriété est perçu comme l’ennemi de la société, l’expression de la dimension antisociale de l’humanité. Cet état est-il irrémédiable ? Non, le travailleur et le propriétaire peuvent avoir jouissance l’un des fruits du travail et l’autre de son bien mais seulement dans des limites telles qu’elles n’empêchent pas les autres d’accéder à l’essentiel. La mise en pratique à grande échelle de ce principe est cherchée du côté de la science et de celui de la participation des travailleurs au gouvernement de l’industrie.

Le mouvement socialiste se construit peu à peu. La « république sociale » apparaît brièvement à la faveur de la révolution de 1848. Elle proclame notamment le « droit au travail », revendication centrale car le travail est désormais ce qui permet de vivre, à la différence de l’autoproduction dans les campagnes. Face aux risques de la vie tels que les accidents du travail, la vieillesse, le chômage ou la maladie, les ouvriers aidés de patrons philanthropes mettent en place des « sociétés de secours mutuels » et autres caisses de solidarité, qui esquissent le droit du travail (limitation de la durée de travail, du travail des enfants etc.) et la sécurité sociale. L’État a un rôle sans cesse croissant dans la régulation.

Le droit de vote est une autre revendication constante des socialistes, avec les républicains, tandis que le clergé, la noblesse et les libéraux s'y opposent, craignant l'irrationalité des masses. La Commune de Paris (1870) montre qu’un gouvernement de citoyens élu est capable d'administrer la capitale, avant que les forces royalistes ne fusillent la plupart des meneurs. Les caisses de solidarité se structurent petit à petit principalement par corps de métier : mutuelle des cheminots, des métallurgistes, des postiers etc. C'est ce qui explique la grande disparité des régimes de retraite ou de sécurité sociale, qui perdure jusqu'à aujourd'hui.

Le socialisme prend une forme étatiste, avec l’URSS ou encore la Chine communiste. Le conflit avec le libéralisme est à l’origine de la guerre froide et de nombreux affrontements dans les pays, qu’ils soient libéraux (« capitalistes »), socialistes et communistes.

2.6. Le conservatisme

Le conservatisme a paru disparaître avec l’avènement de la société industrielle. Pourtant le conservatisme est un courant qui continue d’exister dans tous les pays industrialisés, avec des formes extrêmes se situant très à droite. Il prend généralement une forme nationale. Il focalise sur ce qu’il voit comme des ennemis de l’intérieur ou de l’extérieur, ainsi en France la thèse du « Grand remplacement ». Il s’oppose au libéralisme des mœurs, tel le mariage pour tous.

Il a une relation ambiguë au marché. Il refuse l’autogestion mais interprète les conflits de classe, entre ouvriers et patrons, comme une menace pesant sur l’unité nationale. Il va donc essayer de trouver des solutions pour éviter ce genre de situation. C’est également le souci de l’unité politique qui le conduit à se méfier de la démocratie, des intellectuels et des idées abstraites, facteurs de désunion. Il croit dans la force des préjugés et de la religion pour soutenir un ordre social qui confère leur force aux élites, seules aptes à gouverner.

Les régimes totalitaires sont la forme la plus extrême de conservatisme. Le marché peut apparaître aussi comme une manière de renforcer la puissance nationale, par les richesses qu’il apporte, à condition qu’il ne menace pas la souveraineté. C’est de cette manière que l’on peut comprendre les politiques mises en place par Trump, Bolsonaro ou Poutine. Le conservatisme s’oppose donc au libéralisme, et plus encore au socialisme.

2.7. L'écologisme

Dans les années 1960, alors que la société de consommation émerge, un nouveau courant politique apparaît, critiquant la société industrielle et pointant la destruction de la nature – changement climatique, pollution nucléaire, pesticides, épuisement des ressources etc. L’industrialisation a des conséquences dommageables sur la planète, voire fatales pour une partie du vivant, humains inclus. En regardant de plus près toutefois ces critiques ont existé de tout temps et étaient même présentes dès le début de l’industrialisation.

Alors que le socialisme a surtout cherché à socialiser la croissance et partager les bénéfices de l’industrie, l’écologisme critique l’accumulation comme telle, et rejette donc le socialisme compris comme capitalisme d’État. Comme le socialisme, l’écologisme critique la propriété privée et les inégalités. Mais comme le libéralisme, et le socialisme autogestionnaire, ce courant tend à faire jouer au marché un rôle dans l’organisation sociale, contre l’étatisme, perçu comme alimentant la croissance de l’État. L’écologisme insiste sur les droits de la nature ou des générations futures, sur l’état de la planète. Il propose un projet politique complet, s’organisant en parti, et se distingue donc de « l’environnementalisme » à forme associative et à projet plus sectoriel et limité, en forme de « syndicalisme de la nature ».

Face à l’écologisme, les trois autres courants ont réagi de manière hostile. Puis le libéralisme s’est mis à défendre l’idée que le marché peut s’adapter à une demande de produits « verts ». Le problème est que ceux-ci coûtent parfois plus cher et non moins cher. Il faut donc augmenter les salaires, ou s’appauvrir en termes économiques (« décroissance »).

  • Le libéralisme soutient donc l’idée de croissance verte, c’est-à-dire de produits verts et moins chers, par la technologie.
  • Le socialisme considère que le problème vient du capitalisme, tout en défendant souvent la croissance économique. Des tentatives de synthèse « écosocialistes » émergent régulièrement, avec plus ou moins de succès.
  • Le conservatisme se désintéresse des enjeux écologiques, focalise sur la puissance nationale et la natalité.

2.8. Les idéologies politiques en perspective : la modernité

Le cadre adopté jusqu’ici est plutôt national. Mais la France ou l’Angleterre ont aussi été des empires. Une large partie des pays du monde a été colonisée, donnant naissance à des États dont l’unité a été faite par le colonisateur, avec un droit importé – ainsi le code civil Napoléon en Afrique. Ce passé est une réalité de tous les jours, et non un simple souvenir. L’histoire montre que l’industrialisation n’a pas été vécue comme un progrès, en dépit du discours des métropoles sur les populations à qui il s’adressait. Une critique a donc pris place dès le début, montrant notamment que les pays en question n’étaient pas sans ressources en termes scientifiques, techniques ou démocratiques.

3. Idées d'activités

Pointer les idéologies politiques dans les discours

  • Identifier les idéologies politiques dans les programmes de campagne, site web ou articles (local, national, international)
  • Différencier ce qui relève de la politique politicienne de ce qui appartient aux grandes idées politiques

4. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Catherine Audard, Qu’est-ce que le libéralisme ? (Paris: Gallimard, 2009)
  • Paul Krugman, La mondialisation n’est pas coupable, Paris, La Découverte, 2000
  • Dominique Méda, Qu’est-ce que la richesse?, Paris, Aubier, 1999
  • David Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817, chapitre 7 sur le commerce extérieur

Articles

5. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C),
produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023
Dernière mise à jour : décembre 2023