Dépasser le PIB

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Dépasser le PIB
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:22

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Connaitre le PIB et les limites de cet indice
  • Citer des indices pour le développement durable
  • Citer d'autres types de mesures du développement

2. Qu'est-ce que le PIB ?


Le PIB (Produit Intérieur Brut) a été créé par Simon Kuznets suite à l’effondrement de l’économie américaine consécutif à la crise financière de 1929, afin de pouvoir évaluer l’ampleur de celui-ci.

Concrètement, le PIB est établi en calculant la somme des valeurs ajoutées réalisées sur un territoire donné pendant une année. La valeur ajoutée correspond à la richesse créée par un processus de production qui permet qu’un produit fini ait une valeur supérieure à la somme des matières premières qui le compose, comme l’illustre l'image ci-dessous.

Schema explicatif du PIB

Source : E. Fortin - Licence : CC By Nc

Pour réaliser ce processus, on a généralement besoin de main d’œuvre, de machines (financées par les propriétaires de l’entreprise, ses actionnaires) et d’infrastructures publiques (des routes pour acheminer les biens mais aussi des écoles pour former les salariés…). Le PIB va mesurer la richesse créée mais également la richesse distribuée (entre les salariés, les actionnaires et l’État) et l’ensemble des systèmes statistiques nationaux ont été construit de manière à pouvoir calculer le PIB selon les deux approches (optique de production et optique de revenu) qui conduisent au même chiffre.

2.1. Les limites du PIB

Le PIB est donc un indicateur de flux dont les principales limites sont :

  • La non prise en compte des inégalités de répartition des revenus, entre salariat et actionnaires, entre les ménages, entre femmes et hommes. 
  • La non prise en compte de l’économie non-marchande (bénévolat, activités domestiques, activité pour compte propre).
  • Le revenu ne constitue qu’un indicateur très imparfait du bien-être : si les études montrent une corrélation positive entre les deux lorsque la croissance du revenu permet de sortir de la pauvreté et d’accéder à l’ensemble des biens essentiels (nourriture, logement, santé, éducation), cette corrélation devient de moins en moins évidente au-delà d’un certain seuil, de nombreux autres facteurs affectant notre bien-être (qualité des relations sociales, équité, qualité de l’environnement auquel on a accès, temps de loisir disponible…).

Mais surtout, en ne considérant que des flux, le PIB ne prend pas en compte les stocks et notamment les ressources naturelles.

Prenons l’exemple d’une économie insulaire autosuffisante :

  1. Quelques arbres sont coupés pour construire des bateaux qui servent à pêcher des poissons qui constituent la base de l’alimentation de la population.
  2. Si vous commencez à piloter cette économie sur la base du PIB, vous allez construire plus de bateaux pour pouvoir en vendre et ainsi pouvoir accroître vos revenus, ce qui permet de consommer plus de biens.
  3. De même vous allez encourager l’intensification de la pêche pour accroître vos revenus. Le PIB de l’île va alors spectaculairement s’accroître et les économistes vous prendront en exemple.
  4. Le problème est que vous n’avez pas construit d’indicateur pour évaluer le stock de bois ou les réserves halieutiques, dont le PIB ne rend aucun compte. Le jour où vous aurez épuisé ces ressources (que vous n’aurez eu aucun intérêt à protéger puisque cela se serait fait au détriment de votre PIB), votre économie s’effondre.

Il est important de noter que les Nations Unies ont établi depuis 2003 un cadre de référence permettant la production des comptes satellites environnementaux.

2.2. Pourquoi la croissance du PIB est-elle au centre des stratégies économiques des états ?


Dans la mesure où la démographie croît dans presque tous les pays, la croissance économique est nécessaire au maintien de la richesse par tête.

De nombreux économistes pensent, à l’instar de Keynes qui l’a postulé, que le chômage peut trouver son origine dans un sous-régime de l’économie. Appuyer sur l’accélérateur, en augmentant la dépense publique par exemple ce qui va accroître la production et générer le versement de salaires qui eux-mêmes vont devenir la consommation et donc accroître la production d’autres entreprises (…), génère une boucle vertueuse permettant à l’économie de fonctionner à un « régime supérieur » et ainsi réduire le chômage

En cas d’inégalité de distribution des richesses, il apparaît plus facile de modifier la distribution des richesses nouvellement créées plutôt que de modifier la distribution initiale. Cet argument est très mobilisé dans la sphère normative mais peu vérifié dans les faits ces dernières décennies. Prenons l’exemple de la Chine dont le PIB par habitant a été multiplié par 9 entre 1990 et 2015. Cela a bien permis à la population chinoise de sortir de l’extrême pauvreté. Pour autant cet accroissement de richesse a été massivement capté par les classes les plus riches au détriment des plus pauvres, aggravant les inégalités.

Chine 1990 2015
PIB par habitant (en $ 2015) 905 8 016
Taux d’extrême pauvreté 66,6 % 0,7 %
Part du revenu national perçue par les 50% les plus pauvres 22% 15%
Part du revenu national perçue par les 1% les plus aisés 8% 14%
Evolution du PIB de la Chine et de la répartition des richesses en 1990 et 2015

2.3. Comment mesurer la durabilité ?

Le PIB ne permet pas de refléter l'impact de nos choix sur l'environnement, les ressources ou la pollution, ou de montrer les inégalités de répartition. Il faut donc le compléter ou lui substituer d'autres mesures afin de tenir compte de la durabilité de nos systèmes.

Le premier impact à mesurer est notre impact sur l'environnement : émissions de CO2, de gaz à effet de serre, empreinte carbone, eau. Une façon d'agréger ces différents indicateurs est l'empreinte écologiqueURL externe.

De nombreux travaux à l’instar du Rapport de la Commission sur "la mesure des performances économiques et du progrès social", ou Commission Stiglitz (2009) ont cherché à proposer des indicateurs complémentaires ou à substituer au PIB pour une meilleure gouvernance.

C’est probablement l’indice de développement humain (IDH) qui a connu le plus grand succès en la matière.

L'IDH est un indice composite, sans dimension, compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent). Il est calculé par la moyenne de trois indices quantifiant respectivement :

  • la santé / longévité (mesurées par l'espérance de vie à la naissance)
  • le savoir ou niveau d'éducation. Il est mesuré par la durée moyenne de scolarisation pour les adultes de plus de 25 ans et la durée attendue de scolarisation pour les enfants d'âge scolaire.
  • le niveau de vie (logarithme du revenu brut par habitant en parité de pouvoir d'achat)

En agrégeant des considérations de richesse, de santé/environnement (capté via l’espérance de vie) et de développement social (mesuré par le niveau d’éducation), il offre une meilleure vision de ce qui contribue effectivement au bien-être des populations. Une détérioration de la qualité de l’air entrainant une baisse de l’espérance de vie dégraderait la valeur prise par cet indice alors qu’elle n’affecterait pas l’environnement.

De plus, ces dernières années, cet indice a été encore complexifié pour tenir compte des inégalités (IDHI) ou de la pression sur l’environnement et les ressources (IDHP qui intègre les émissions de CO2 et l’empreinte matière).

Graphique des IDH, IDHI et IDHP de différents pays en 2019, ainsi que l'IDH de 1990 pour comparaison

Source : Nations Unies

Le graphique ci-dessus illustre que si les Etats-Unis ont un PIB par tête 1,6 fois plus élevé que celui de la France, leur IDH n’est que faiblement supérieur (du fait d’une moindre espérance de vie lié à un système de santé publique moins performant). Mais il illustre également que si l’on tient compte des inégalités, la situation de la France est meilleure, et c’est encore plus vrai si l’on tient compte des pressions sur l’environnement et les ressources. C’est la Norvège qui présente les meilleurs IDH et IDHI mais l’Irlande qui présente le meilleur IDHP.

2.4. Des propositions de tableaux de bord


D’autres propositions relèvent plutôt des logiques de tableau de bord, considérant qu’il convient de gouverner à l’aune de plusieurs indicateurs.

Ainsi, suite à la Commission Stiglitz, France Stratégie et le Conseil économique, social et environnemental ont développé une proposition de 10 indicateurs présentés dans le tableau suivant :

Thèmes Indicateur
Économie Travail Taux d’emploi de la population d’âge actif
Investissement Patrimoine productif en % du PIB
Soutenabilité financière Dette publique et privée en % du PIB
Social Santé Espérance de vie en bonne santé à la naissance
Qualité de vie Satisfaction à l’égard de la vie
Inégalités Rapport entre la masse des revenus de 10% les plus riches et ceux des 10% les plus pauvres
Éducation Part des diplômés du supérieur parmi les 25-34 ans
Environnement Climat Empreinte carbone au niveau de la consommation
Biodiversité Indice d’abondance des oiseaux
Ressources naturelles Taux de recyclage des déchets

Les anglais ont développé une roue nationale du bien-être très complète qui réunit pas moins de 41 indicateurs regroupés en 10 catégories : bien-être personnel, bien-être relationnel, santé, activité professionnelle, lieu de vie, situation financière, économie nationale, gouvernance et environnement.

National well-being wheel servant à mesurer les indices de bien-être au Royaume-Uni

Source : Office for National Statistics - Licence : Open Government Licence v.3.0.

2.5. Le budget vert (Green budgeting)

L’État français a initié en 2019 la démarche de budget vert (Green Budgeting), qui consiste en une nouvelle classification des dépenses qui vise à recenser l’impact sur l’environnement des dépenses (budgétaires comme fiscales) de l’État, et ceci selon 6 axes :

  1. Lutte contre le changement climatique (mesures d’atténuation)
  2. Adaptation au changement climatique et prévention des risques naturels
  3. Gestion de la ressource en eau
  4. Économie circulaire, déchets et prévention des risques technologiques
  5. Lutte contre les pollutions (air, sols, bruit…)
  6. Biodiversité et protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles

Pour chacune de ces dimensions environnementales, il s’agit d’évaluer l’impact de la dépense sur 5 niveaux, comme l’illustre la figure ci-dessous.

Les différents niveaux d'impact des dépenses selon le Green budgeting

Source : Mission Green Budgeting

Pour l’année 2021, sur un total de 574,2 Md€ de dépenses budgétaires et fiscales, 52,8 Md€ de dépenses ayant un impact sur l’environnement ont été comptabilisées (dont 41,8 Md€ de dépenses budgétaires) :

  • 38,1 Md€ de dépenses dites « vertes », c’est-à-dire favorables à l’environnement sur au moins un axe environnemental.
  • 4,7 Md€ de dépenses « mixtes », favorables à l’environnement sur un moins un axe mais ayant des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes (principalement infrastructures de transport, notamment ferroviaire).
  • 10 Md€ de dépenses ont un impact défavorable, sur au moins un axe environnemental sans avoir un impact favorable par ailleurs, et sont surtout des dépenses fiscales (7,2 Md€, notamment TICPE sur les carburants).

3. Version vidéo

Cette leçon est également disponible sous forme vidéo (16'37).

4. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Sites web
Rapports

5. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023