La notion de communs

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: La notion de communs
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:37

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Connaître la pluralité des termes (communs, commun, biens communs, bien commun) utilisés dans les différents contextes disciplinaires et territoriaux actifs dans le débat sur les communs, qui d’emblée se caractérise par une forte dimension pluridisciplinaire et internationale

  • S’orienter, saisir les éléments caractéristiques des communs et les distinguer des notions voisines sans figer une élaboration en constante évolution

  • Construire une réflexion critique et documentée sur les impacts sur nos pratiques et sur le monde de cette approche

  • Connaître les ouvertures et les travaux qui prolongent ces questions

2. Communs ? Vous avez dit communs ? Comme c'est bizarre !

Comme le jour la nuit - communes la terre les eaux 

Votre ferme - votre travail, métier, occupation 

La sagesse démocratique en dessous comme base 

Solide pour tous

— Walt Whitman, "The Common place"

2.1. Préambule

Les communs désignent des formes d'usage et de gestion collective d'une ressource ou d'une chose par une communauté. Cette notion permet de sortir de l'alternative binaire entre privé et public en s'intéressant davantage à l'égal accès et au régime de partage et décision plutôt qu'à la propriété. 

Les domaines dans lesquels les communs peuvent trouver des applications comprennent 

  • l'accès aux ressources
  • au logement 
  • et à la connaissance. 

Le ou les communs ne doivent pas être compris comme un bien qui appartiendrait à tous, mais comme un principe d’organisation qui découle d’une activité commune, celle des membres de la société. Un commun ne réunit pas des consommateurs du marché ou des usagers d’une administration extérieurs à la production, ce sont plutôt des coproducteurs qui œuvrent ensemble à l’édiction de règles ainsi qu’à leur mise en œuvre. Seul l’acte d’instituer les communs fait exister les communs, à rebours d’une ligne de pensée qui fait des communs un donné préexistant qu’il s’agirait de reconnaître et de protéger, ou encore un processus spontané et en expansion qu’il s’agirait de stimuler et de généraliser.

Pour les grecs (koinôn - mettre en commun), « vivre ensemble » ce n’est pas, comme dans le cas du bétail, « paître au même endroit », ce n’est pas non plus tout mettre en commun, c’est « mettre en commun des paroles et des pensées », c’est produire, par la délibération et la législation, des mœurs semblables et des règles de vie s’appliquant à tous ceux qui poursuivent une même fin. L’institution du commun (koinôn) est l’effet d’« une mise en commun » qui suppose toujours une réciprocité entre ceux qui prennent part à une activité ou partagent un mode d’existence. 

Le commun ne relève ni de l’essence des hommes ni de la nature des choses, mais de l’activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est « commun », réserver certaines choses à l’usage commun, produire les règles capables d’obliger les hommes.

Le commun appelle à une nouvelle institution de la société.

2.2. Mettons en commun le commun

Parler des communs devient commun depuis la parution de l’article du biologiste américain Garrett HardinRéf. biblio. Puis, Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, en proposa une formulation originaleRéf. biblio. Ainsi, par l’analyse d’expériences repérées partout sur la planète, elle montra que la surexploitation des communs préconisée par Hardin comme issue nécessaire de l’accès collectif à une ressource limitée, qu'il s'agisse de pâturages, de pêcheries ou de nappes phréatiques, peut être évitée dès lors que des utilisateurs s'organisent pour gérer le bien selon des règles de partage et de réciprocité. Ostrom relativise également le modèle de l’homo economicus et les fondements de la pensée libérale qui voit dans la propriété privée, individuelle et exclusive, le meilleur système d’allocation des ressources. 

Elinor Ostrom a mis en place un cadre d’analyse et de développement institutionnel destiné à l’observation des communs. De ses observations concrètes, elle a tiré huit principes d’agencement que l’on retrouve dans les situations qui assurent réellement la protection des communs dont ces communautés d’acteurs ont la charge :

  • des groupes aux frontières définies ;
  • des ressources délimitées ;
  • des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et besoins locaux ;
  • la capacité des individus concernés à les modifier ;
  • le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
  • un système de contrôle du respect des règles par les membres de la communauté ;
  • la mise en place d’un système de sanctions graduées ;
  • l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
  • des activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées (gouvernance polycentrique).

Pour comprendre et analyser, il sera donc indispensable d’explorer la pluralité des termes (communs, commun, biens communs, bien commun) utilisés dans les différents contextes disciplinaires et territoriaux actifs dans le débat sur les communs, caractérisés par une forte dimension pluridisciplinaire et internationale.

Comment s’orienter dans ce labyrinthe et saisir les éléments caractéristiques des communs et les distinguer des notions voisines ?

2.3. Le commun, c'est un agir en commun

Un bien commun est un modèle de gouvernance qui facilite la coopération entre des personnes qui bénéficient d’un avantage en travaillant ensemble […] Sa conception et son fonctionnement sont sensiblement différents du marché et de l’État pris comme modèles de gouvernance dans la mesure où l’institution en question est basée sur l’auto-gouvernance, c’est-à-dire l’auto- régulation, l’auto-sanction et l’auto-gestion. C’est ainsi qu’émerge une nouvelle institution pour l’action collective.

— Tine De Moor

Pour identifier des communs, il faut identifier les trois dimensions constitutives : 

  • une ressource (une chose tangible ou intangible), 
  • une communauté
  • une pratique de mise en commun ou de faire en commun qui établit des règles d’accès et de partage (commoning).
Icones représentant les dimensions de constitution d'un commun

The Noun Project (Grace Mitchell, Gan Khoon Lay, Gregor Cresnar, James) et police Open Sans Pro - Licence CC BY SA


Ces trois dimensions peuvent néanmoins s’articuler de façon très variable. Le développement des études sur la production des connaissances d’une part et sur les communs urbains d’autre part ont largement participé à ré-imaginer des communs. En conséquence, la notion de communauté dans les théories des communs les plus récentes ne peut plus se forger selon les modèles des communautés de terre et de sang qui animaient les communs ruraux de la tradition médiévale. Les communs peuvent ainsi se retrouver dans de nombreux secteurs de nos vies modernes.

Graphique présentant les différents types de communs

Source : Lionel Maurel, traduction UVED, Licence CC O

2.4. Ressources et savoirs en commun

La diffusion d’une économie de la connaissance et de l’information à l’échelle globale s’est accompagnée de l’extension du modèle propriétaire aux ressources ou objets d’activités de décryptage et de découverte (du génome aux logiciels). Cette tendance à une application généralisée de la propriété intellectuelle (copyright) à toutes connaissances a engendré, dès les années 1980, des pratiques alternatives vouées à favoriser la non-appropriation, le partage, le développement et la diffusion de contenus. En 1985 par exemple, Richard Stallman et Lawrence Lessig ont développé le Général Public Licence (GPL).

L’accent est alors mis sur les caractères et les fonctions propres des connaissances techniques et culturelles. Créés et destinés à la circulation auprès d’un public et produites collectivement à travers le processus constant de reprise, adaptation et amélioration, ces contenus demandent, afin d’inciter le travail de création qui permet le progrès culturel, une extension généralisée des droits d’auteurs. Ils se distinguent en cela du capitalisme cognitif, fondé sur l’appropriation par les acteurs économiques les plus puissants des résultats des processus de production de toutes sortes de données et de savoirs.

Les « commoners », eux, ne considèrent pas les codes informatiques ou les savoirs comme des biens en propriété, mais comme des ressources dont il faut protéger le libre accès afin d’en faciliter l'utilisation et l'amélioration collective. Ainsi, de nombreuses expériences (les mouvements dits Open Source, Wikipédia, Art Libre, Creative Commons) se développeront autour de ces communs numériques, s’inspirant de ces principes de collaboration et d’accessibilité.

C’est ainsi qu’avec des arguments, des objets et des pratiques diverses, les multiples acteurs du mouvement des communs participent de la même remise en question de la propriété en tant que paradigme dominant pour l’exploitation des ressources tant naturelles que culturelles, tant matérielles qu’immatérielles. Les communs sont en fait une critique de la propriété, privée comme publique.

2.5. La connaissance comme commun

Les communs de la connaissance peuvent comprendre des œuvres de création littéraire ou artistique, des ressources éducatives, des publications ou des données scientifiques, des informations publiques, des logiciels, etc. Tout comme les terres, elles peuvent être appropriées de manière exclusive, ou utilisées par tous selon des règles visant à leur préservation et leur qualité. Le mouvement d’enclosure de la connaissance désigne les mécanismes d’extension du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle qui limitent l’accessibilité des informations, qui constituent elles-mêmes le support de la production de connaissances.

Élaboré postérieurement aux premières théories sur les communs, le cadre conceptuel des communs de la connaissance étudie les mécanismes d’incitation à la création et de soutenabilité, l’accès aux connaissances préalables nécessaires à la création de nouvelles connaissances, l’ouverture à l’utilisation par des personnes extérieures à la communauté, et les normes régulant la production et l’extraction. 

En particulier, les licences libres avec une clause copyleft, comme les licences Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique, prévoient la liberté de reproduire et de réutiliser une œuvre autrement soumise aux règles du droit d’auteur, à la condition que les éventuelles œuvres dérivées (par exemple une traduction, ou une adaptation) soient partagées avec le public selon les mêmes conditions de liberté. Le titulaire de droits sur l’œuvre originale octroie donc au public le droit de profiter de ce bien commun de la connaissance, pour en créer éventuellement d’autres.

Illustration de la licence CC By SA

Creative Commons

2.6. Les communs pour relever les défis de l'anthropocène ?

Les communs se caractérisent donc par le lien étroit avec les fonctions collectivement reconnues à certaines choses et avec ces pratiques sociales capables d’agencer leur accès, leur partage et leur préservation pour les générations futures. Le commun constituerait un processus politique qui engendre, organise et institue les différents communs. 

Des nombreuses recherches et expériences récentes considèrent comme des communs urbains 

  • les parcs, les jardins, les lieux en friche 
  • les lieux de production culturelle (tels que les théâtres, les cinémas ainsi que les lieux informels de production culturelle) 
  • les lieux de production sociale (les places, les lieux de rassemblement), 
  • le patrimoine culturel, artistique, scientifique, les bibliothèques
  • certaines infrastructures matérielles et immatérielles et certains services urbains, les données numériques, les logements sociaux. 

Même les déchets sont considérés comme des communs car résultant des interactions urbaines et, délaissés de tous intérêts propriétaires, ils peuvent néanmoins constituer des ressources cruciales pour les populations urbaines marginalisées.

Exemples de communs urbains

The Noun Project (Y. Kwon, B. Davis, E. Harrison, Turkub, Mitochondrial, PDP. Hung, J. Mujica, Manohara, Iconesia, Vectors Market, Faisalovers), Police Open Sans Pro, Licence CC BY SA


Ainsi, même des lieux destinés à l’usage privé peuvent relever du commun car ils peuvent être gérés de manière auto-organisée et inclusive. On trouvera alors des communs du point de vue purement interne pour leur attitude à favoriser le partage et la collaboration entre copropriétaires plutôt que la propriété individuelle. Ainsi, des lieux de vie privée gérés collectivement pourront participer à des finalités urbaines, écologiques et solidaires plus vastes comme certaines expériences d’habitats participatifs, de Community Land Trust ou des organismes de foncier solidaire.

Les communs urbains peuvent être des biens ou des services, publics ou privés, leur caractère commun dépendant essentiellement des fonctions qu’ils peuvent remplir socialement et de l’action collective qui les investit en revendiquant leur prise en charge directe et leur mise en commun.

Si les politiques d’aménagement prévoient traditionnellement la conformation de la propriété privée afin d’organiser l’espace dans l’intérêt collectif, cette capacité de médiation politique est souvent sacrifiée à une vision purement économique du foncier urbain. Envisager l’espace urbain en tant que commun signifie, dans le prolongement de luttes pour le droit à la ville, protéger la ville de toutes opérations publiques, privées ou plus souvent menées en partenariat publique-privé, qui détermine sa croissante marchandisation pour revendiquer sa destination collective.

Les théories des communs, en prenant en considération aussi bien la reproduction d’une communauté que la préservation d’une ressource pour des générations futures, ont l’ambition de s’inscrire dans la temporalité longue des relations entre une communauté et son milieu.

2.7. Critique des communs

Même si les communs activent une dimension essentielle de notre action si nous voulons pouvoir relever les défis posés par l’anthropocène, ils ne sont pas exempts de critique. 

Une critique constructive de la pensée d’Ostrom et des communs de manière générale peut se formuler ainsi :

« L’opérationnalisation des Commons Pool Resources dans la théorie d’Ostrom sous la forme d’une gestion communautaire, c’est aussi « l’utilisation humaine des ressources naturelles ». Les humains d’un côté, tout le reste de l’autre – une division ontologique stricte entre les humains et les non-humains, les commoners et les Communs, les agents et la structure, les extracteurs et la ressource, la culture et la nature, les sujets et les objets, les uns qui utilisent activement et les autres qui sont passivement utilisés »

— Jonathan Metzger

Pour y répondre, et faire face à ces dichotomies excluantes, il faudra reprendre notre manière de voir les Communs en :

  • se débarrassant de la notion de « ressource ».
  • intégrant les Humains avec les Non-Humains dans une Communauté biotique.
  • faisant que les règles ne donnent pas uniquement des droits aux Humains, mais aussi aux Non-Humains.
  • introduisant la notion de « Communs négatifs ».

3. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Cornu, M., Orsi, F. et Rochfeld, J. (dir), Dictionnaire des biens communs, PUF, 2021
  • Di Méo G. (1998). Géographie sociale et territoires, Nathan, Paris.
  • Denèfle S. éd. (2016). Repenser la propriété, des alternatives pour habiter, PUR, Rennes. 
  • Dardot P., Laval C. (2014). Commun. Essai sur la Révolution au XXIe siècle. La Découverte.
  • Harvey D. (2012). Rebel Cities: From the Right to the City to the Urban Revolution. Verso.
  • Magnaghi A. (2014). La biorégion urbaine, petit traité sur le territoire bien commun, Eterotopia.
  • Ostrom E. (1990). Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press.
  • Ostrom E., Hess C. (2007). Understanding knowledge as a common, From Theory to Practice. MIT press.
  • Paquot, T., Lussault, M., Younès, C. (dirs.), 2007, Habiter, le propre de l’humain : villes, territoires et philosophie, Paris, La Découverte (Armillaire), 384 p.
  • Stallman R. (1985), « The GNU Manifesto », Dr Dobb's Journal.
  • Pour une architecture des communs. Autoconstruction et espaces collectifs. Eterotopia. 2023
Articles
  • Carriou C. (2014). « Propriété privée, propriété de soi et sens du collectif. La "coopérative d'habitat Le Grand Portail" à Nanterre (France) ». Espaces et sociétés, (1), 213-227.Federici S. (2011). “Women, Land-Struggles and the reconstruction of the commons”, Working USA: The Journal of Labour and Society, (14), 41–56.
  • Festa, D., Avec la contribution de : Mélanie Dulong de Rosnay et Diego Miralles Buil, « Notion en débat : les communs », Géoconfluences, juin 2018.
  • Festa D. (2016). « Les communs urbains. L’invention du commun ». Tracés, HS (16), 233–256.
  • Flahault F., 2008, « Les biens communs vécus, une finalité non utilitaire », Développement durable et territoires. Dossier 10.
  • Foster S., Iaione C. (2016), “The City as a Commons”, 34, Yale L. & Pol'y Rev. pp. 281– 349
  • Hardin, G. (1968). The tragedy of the commons, Science DOI: 10.1126/science.162.3859.1243

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4. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  décembre 2023