Inégalités économiques et environnementales

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les relations Humains Nature(s) en anthropocène
Livre: Inégalités économiques et environnementales
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:20

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Connaître le développement de la notion d’inégalités environnementales et son imbrication avec les mouvements de justice environnementale
  • Comprendre l’impact des pouvoirs publics et l’institutionnalisation des inégalités environnementales
  • Analyser les inégalités environnementales au regard de leur développement socio-économique et comprendre les stratégies adoptées par les ménages et individus ainsi que les conséquences pour les populations
  • Intégrer la critique d’une analyse des inégalités environnementales par le prisme des individus et des ménages.

2. De quoi s'agit-il ?

Selon Valérie Deldrève, les inégalités environnementales sont des inégalités d’exposition aux risques, d’accès aux aménités et aux ressources naturelles mais également d’impact direct sur l’environnement (par les modes de production et de consommation). Enfin, les inégalités environnementales font aussi référence aux capacités à se saisir des politiques environnementales, notamment pour protéger son propre environnement.

Les inégalités socio-économiques sont nuisibles à la santé humaine et à l’environnement. En effet, selon le rapport du Lancet sur le climat, les populations les plus vulnérables socialement sont également les plus touchées par les problématiques environnementales et climatiques. Par exemple, toujours selon le rapport du Lancet, la crise climatique pourrait provoquer un contexte plus favorable au développement d’épidémies de dengue ou de malaria dans les pays à faible indice de développement humain. Cette plus forte exposition au risque constitue une inégalité environnementale entre les pays du Nord et du Sud.

Les inégalités environnementales sont un concept du champ de la justice environnementale (champ militant et de recherche académique se développant d’abord aux États-Unis et dans les pays de l’hémisphère Sud dans les années 1970-1980). Ces inégalités s’observent à la fois entre territoires (entre les pays du Nord et ceux du Sud), mais également au sein des territoires. Nous nous concentrerons ici sur les inégalités environnementales perçues à l’échelle des individus et des ménages.


2.1. Histoire du concept d’inégalité environnementale

Le lien entre environnement et inégalités socio-économiques est d’abord peu mis en avant dans les premiers mouvements de protection de la nature. Ce lien est mis au jour dans les années 1960-1970 par les néo-malthusiens et tenants du développement durable. Parmi eux, Paul Ehrlich publie, en 1968, The Population Bomb, reconnaissant que la surpopulation est un facteur de dégradation environnementale.

Le concept de « justice écologique » a quant à lui fait son apparition lors de protestations contre l’implantation d’un site d’enfouissement de déchets toxiques dans l’État de Caroline du Nord aux États-Unis, à Warren en 1982. Les gestionnaires de déchets choisissaient en effet de placer leurs exploitations dans des communes pauvres et souvent habitées par des minorités ethniques, ces populations étant reconnues comme ayant une faible compétence politique, et donc moins enclines à protester contre l’implantation de ce type de site. Dans le cas de Warren, la commune était composée à 65% d’afro-américains.

La justice environnementale aux États-Unis se concentre davantage sur les effets d’un environnement délétère sur la santé et la qualité de vie des minorités. La justice environnementale en Europe se concentre quant à elle davantage sur les liens entre inégalités spatiales et géographiques et les inégalités environnementales. Cette différenciation de la focale entre les deux continents résulte de caractéristiques socio-historiques et politiques (Charles et al., 2007).

Enfin dans les pays du Sud, les mouvements de justice environnementale, et in extenso la perception des inégalités environnementales sont le fait de communautés de paysans, d’artisans protestant contre la dégradation ou la disparition de leurs conditions d’existence induites par le développement de secteurs industriels et miniers (Kurien, 1992). Les inégalités environnementales sont dès lors davantage comprises comme des inégalités d’accès à des ressources clés pour la survie des populations (comme ce fut le cas à l’occasion de la sécheresse qu’a connue l’Uruguay lors de l’été 2023 lors de laquelle la majorité de la population a dû boire une eau salée afin de ne pas épuiser trop vite les ressources en eau).

Il existe quatre dimensions des inégalités environnementales (Laigle L., Oehler V., 2004) :

  • Les « inégalités territoriales » faisant référence aux différences de qualité des territoires et à une répartition inégale des populations sur ces territoires. Il s’agit de comprendre l’ancrage historique et socio-économique d’un territoire comme conditionnant les voies possibles de son développement
  • Les « inégalités d’accès à l’urbanité et au cadre de vie » visant à décrire les inégalités en matière de mobilité en ville, d’usage des espaces et biens publics, d’accès aux services ainsi que les contraintes inhérentes au choix du lieu de résidence
  • Les « inégalités par rapport aux nuisances et aux risques ». Les risques ici concernés sont naturels, technologiques, industriels. Les inégalités de production, d’exposition, de perception aux nuisances (sonores, atmosphériques, des sols, etc.) sont ici visées, ainsi que l’accès inégal à l’information sur les risques encourus ainsi que le traitement de ces risques
  • Les « inégalités dans la capacité d’action et d’interpellation de la puissance publique pour la transformation du cadre de vie ». Se référant davantage au pouvoir politique, ces inégalités se concentrent sur la place et le rôle des habitants, des associations, des acteurs politiques et économiques dans les médiations et décisions, notamment dans la conception et la réalisation de projets d’aménagement du cadre de vie. Il s’agit ici des inégalités liées à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’environnement.

2.2. Les inégalités environnementales dans les politiques publiques

Aux États-Unis, les mouvements sociaux et environnementalistes des années 1970-1980 participent d’abord à la montée de la notion de « justice environnementale ». En 1994, cette notion est reconnue par l’Executive Order 12898 « Federal Actions To Address Environmental Justice in Minority Populations and Low-Income Populations » du 11 février 1994. Cette directive vise à garantir que les impacts environnementaux des activités économiques et des transports n’affectent pas davantage les classes défavorisées, et notamment les minorités ethniques.

En France, les inégalités environnementales sont intégrées dans les politiques publiques à partir des années 2000.

  • 2003 : Adoption de la stratégie nationale de développement durable (SNDD) , qui contient dans ses objectifs la caractérisation des inégalités dans les territoires et leur diminution. 
  • 2005 : Promulgation de la Charte de l’environnement. Elle institue également, dès son article Premier que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
  • Depuis 2004 (et également en 2009 et 2015) : un « Plan national santé environnement » est mis en place par les autorités afin de réduire les inégalités environnementales. En France, c’est d’abord l’expression d’« inégalité écologique » qui est prise en compte, avant que celle d’« inégalité environnementale » ne la supplante progressivement.

2.3. Inégalités environnementales à l’échelle micro (individus et ménages)

Les inégalités environnementales à l’échelle des individus et des ménages concernent plusieurs problématiques : 

  • la question des aménités
  • l’accès aux ressources
  • l’impact sur l’environnement
  • la compétence politique (capacité à se saisir des politiques environnementales, à les comprendre et à agir afin de protéger l’environnement).

Les inégalités environnementales sont directement liées aux inégalités socio-économiques. Un individu ou un ménage vivant dans des conditions socio-économiques difficiles sera bien plus enclin à vivre des inégalités environnementales. Dès lors, les inégalités environnementales s’expliquent par des raisonnements économiques et sociologiques à l’échelle des ménages et des individus. Dans les territoires marginalisés où les services publics sont peu présents, l’accès à un moyen de transport motorisé est primordial afin d’accéder à ces services. La situation économique et géographique conditionne ainsi l’usage de l’automobile. En effet selon l’INSEE, on observe 90% de recours à l’automobile pour les distances domicile-travail en milieu rural, les transports en commun étant considérés comme un « mode de déplacement spécifique aux grandes villes ».

Les aménités

Les aménités sont des éléments de l’espace représentant un attrait permanent ou temporaire pour les populations. Les aménités environnementales font donc référence aux éléments du paysage ou du climat dont peuvent profiter les populations d’un espace concerné.

La perception de ces aménités s’explique sociologiquement. En effet, dans les années 1970-1980, des travaux démontrent que la fréquentation de la forêt par les populations résulte d’un processus de distinction sociale : ce sont les populations au plus fort niveau social qui sont alors les plus à mêmes de profiter des espaces boisés pour leurs bienfaits. Ce phénomène a évolué avec la démocratisation de l’espace forestier dans les décennies suivantes.

Dans les villes ayant fortement hérité de la révolution industrielle du XIXe siècle, la pollution atmosphérique des industries conduit à des prix plus faibles des logements à l’Est de Paris au XIXe siècle, les vents allant généralement d’Ouest vers l’Est. Cette situation est la même dans des villes comme Lyon. Les populations les moins favorisées se sont ainsi vues cantonnées à des secteurs d’habitations davantage exposés par les fumées domestiques et industrielles. Ces structures historiques et économiques ont encore des répercussions dans la configuration de l’espace social aujourd’hui.

Ces inégalités environnementales en matière d’aménité peuvent également être observées sur les littoraux. Les habitations ayant un accès à la mer sont plus chères et ainsi réservées à une population favorisée.

Les inégalités environnementales résultant du mode de vie

Les inégalités environnementales doivent également être considérées au regard de l’empreinte écologique (voir séquence S3C) différente selon le mode de vie. Dans les pays du « Nord », l’évolution du mode de vie des ménages est en grande partie responsable de l’augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre.

Les habitudes des ménages des pays riches sont ici visées : utilisation de la voiture, augmentation de la surface moyenne des logements (et du chauffage de ces surfaces), diminution du nombre de personnes par ménage. Ainsi en 2010, chaque français émet en moyenne deux tonnes de CO2 par an seulement pour se déplacer (Zahia, Nicolas, Verry, 2010).

L’accès aux ressources environnementales

L’accès aux ressources environnementales dépend également des conditions socio-économiques des individus et des ménages. De plus en plus et partout dans le monde, l’accès à la ressource en eau est de plus en plus limité, accroissant les inégalités environnementales.

La crise de l’eau en Uruguay a montré le caractère inégal de l’accès à une eau pure dans le pays. Alors que l’État d’Amérique du Sud a connu une sécheresse record, le gouvernement a décidé de mélanger l’eau du robinet à de l’eau salée venant de nappes phréatiques. Alors que les populations les plus pauvres n’avaient pas le choix de consommer cette eau considérée parfois impropre à la consommation, les ménages et individus les plus favorisés pouvaient continuer d’acheter de l’eau minérale en bouteille.

La compétence politique

Les inégalités environnementales sont aussi le fait d’une différenciation dans l’accès aux informations concernant l’environnement ou le climat. Cette asymétrie d’information selon les populations amène à une différenciation des mobilisations, notamment pour la préservation de l’environnement. En effet, il est souvent dit de l’écologie qu’elle est réservée à une élite. Néanmoins, les inégalités environnementales touchent en premier lieu les populations les plus vulnérables.

La mobilisation contre un projet qui sera amené à polluer l’atmosphère ou l’eau dans un territoire dépend en effet de la compétence, pour les ménages et les individus, à se saisir de cet enjeu afin de le contester. Dans le même sens, la participation à des gestes écologiques à une échelle individuelle ou du ménage dépend là aussi de nombreux facteurs (situation socio-économique, situation géographique, etc.). Il est par exemple reconnu que les populations vivant dans un environnement rural seront plus enclines à comprendre les écosystèmes qui les entourent et à préserver les ressources naturelles que les populations urbaines.

Une perception différente du risque environnemental selon le milieu socio-économique

Dans les régions industrielles et ouvrières, le risque environnemental est souvent minoré par les populations concernées, l’identité familiale étant parfois définie par le mode de vie. Une famille d’ouvriers modestes pourrait alors minorer le risque industriel de l’entreprise qui la fait vivre, intégrant le risque comme une norme.

A l’inverse, les populations les plus aisées, dont le mode de vie est souvent lié à une activité tertiaire, développent une perception du risque industriel plus importante. Néanmoins, une partie des populations les plus aisées détient un logement en littoral, avec un risque d’inondation parfois important. Des travaux en sociologie ont montré que ces populations entretiennent des stratégies de dénégation du risque en relativisant la régularité et l’importance des crues, en dédramatisant leur importance ou en se familiarisant au milieu.

La perception du risque environnemental et des inégalités des ménages et individus est ainsi déterminée par de nombreux facteurs.

2.4. Critiques des inégalités environnementales vues sous le prisme des individus et des ménages

Le cadrage individualisant peut être critiqué pour deux raisons principales. La première est qu’il déconnecte la question environnementale des choix collectifs de politique publique. Cette vision individualiste omet que les choix des individus et des ménages sont également encadrés par des contraintes structurelles (logement, déplacement, mode de production d’énergie du pays concerné, etc.). Cette perspective dépolitise les enjeux de transition écologique alors même que les gestes vertueux à l’échelle individuelle ne conduiraient qu’à une réduction de 25% de l’empreinte carbone du pays.

D’autre part, la contribution des ménages et individus à l’empreinte écologique est très inégale selon la catégorie socio-économique. En France, en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, les ménages les plus pauvres ont vu leur contribution aux émissions globales diminuer depuis trente ans, alors que celle des plus riches s’est accrue dans le même temps. Ainsi en France, 50% des vols en avion sont pris par seulement 2% de la population. Au Royaume-Uni, 15% de la population concentre 70% des vols.

3. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Philippe Coulangeon, Yoann Demoli, Maël Ginsburger, Ivaylo Petev, La conversion écologique des français, contradictions et clivages, Presses universitaires de France, 2023.
  • François Duchêne, Christelle Morel-Journel, De la culture du risque. Paroles riveraines à propos de deux cours d’eau périurbains, Paris, Éditions de l’aube, 2004.
Articles
Rapports

Pour aller plus loin...

Rapports
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Vidéos

4. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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Première édition :  octobre 2023