Les inégalités socio-environnementales : cadrage et notions

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les modes d'action en anthropocène
Livre: Les inégalités socio-environnementales : cadrage et notions
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:37

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Prendre conscience des inégalités croissantes et de leurs complexités géographiques et d’échelle
  • Connaître les distributions de ces inégalités et les différents cadres d’action pour y répondre
  • Connaitre la signification des concepts-clés qui recouvrent les actions de lutte contre les changements climatiques.

2. De quoi s'agit-il ?

Les inégalités socio-environnementales correspondent à l’idée selon laquelle les populations et les groupes sociaux ne sont pas égaux face aux différents risques environnementaux à différentes échelles (pollution de l’air, de l’eau, des sols, zoonoses, risques industriels, etc.) de même qu’ils ne disposent pas d’un accès équivalent aux ressources et aménités environnementales (eau, air, espaces verts, etc.).

Les pauvres se défendent des externalités négatives de la consommation (décharges, pollution environnementale, etc.) tout en n’ayant que peu accès à la même consommation (une « sobriété imposée »Réf. biblio). Les riches ont une capacité disproportionnée à contribuer à ces inégalités via leur consommation et modes de vie.

Empreinte carbone des ménages français par décile de revenu

Source : ADEME, Maillet et al., 2019, "Fiscalité carbone aux frontières"
Adaptation graphique : UVED

Malgré l’évidence, l’écologie politique s’est développée loin des préoccupations des classes populaires. Le sociologue français Jean-Baptiste Comby met en évidence trois écologies :

  • une écologie technocratique réservée aux classes riches,
  • une écologie des gestes individuels qui concerne peu les classes pauvres,
  • une écologie sous forme d’alternatives territorialisées, d’expérimentations riches, mais souvent fragiles y compris dans les quartiers populaires.

La problématique des inégalités renvoie directement à celle de la justice environnementale, du racisme environnemental, mais aussi aujourd’hui de la justice climatique.

2.1. La justice environnementale

La justice environnementale correspond à un mouvement social né aux États-Unis dans le prolongement du mouvement des droits civiques initié par Martin Luther King dans les années 1960 et possédant des connexions avec le mouvement syndical United Farm Workers [Ouvriers agricoles unis] en lien à la surexposition des populations défavorisées et racisées aux pollutions environnementales et aux risques qui y sont associés. Elle repose sur l’identification géographique de ces risques ainsi que des critères sociaux pour y remédier.

Selon Nayla Naoufal (2016), Robert D. Bullard – un des universitaires fondateurs du mouvement – définit la justice environnementale en 1990 :

« [La justice environnementale est] un traitement juste et une participation significative de toutes les personnes, quels que soient leur race, leur couleur de peau, leur origine nationale et leur revenu, à l’égard de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’application des règlements, des politiques et des lois en matière d’environnement. Un traitement juste signifie qu’aucune communauté, y compris les communautés raciales, ethniques ou socio-économiques, ne subit une exposition disproportionnée aux conséquences environnementales néfastes résultant d’opérations municipales, commerciales et industrielles ou de la mise en œuvre de politiques et programmes locaux, tribaux, étatiques et fédéraux »

— Traduction libre, Bullard, 1990, p. 7

Le racisme environnemental existe lorsque l’accès à un milieu de vie sain est impossible pour des communautés spécifiques, désavantagées en raison de l’un ou plusieurs des aspects de leur identité sociale et ce, que ce soit délibéré ou non. Le racisme environnemental peut être local, régional, national, transnational ou mondial. La première Conférence Globale contre le Racisme se tient à Durban en Afrique du Sud en 2001. Les pratiques d’exportation en provenance de pays « développés » de déchets toxiques vers des pays « en développement » ou « émergents » sont un exemple de racisme environnemental global.

2.2. La justice climatique

La justice climatique qui renvoie à la manière dont les changements climatiques n’affectent pas également les personnes, les communautés, les régions, les pays, les Nords et les Suds, alors même qu’il est le résultat d’un mode de vie sur-consommatoire des pays riches, et au sein de ces pays, des populations les plus fortunées.

La justice climatique est un grand mouvement social global, née de l’analyse des processus qui ont permis de la qualifier, soit les processus historiques d'injustice, les institutions, les politiques et les mécanismes qui les perpétuent. Ceci explique que la justice climatique soit souvent analysée en termes macro-économiques et selon la façon dont des entités, gouvernements ou institutions peuvent y remédier en compensant les groupes sociaux affectés, par exemple au sein des Conférences des Parties (COP).

La littérature sur la manière dont la justice climatique concerne les différentes échelles des vies est encore peu importante ; à l’épreuve des inondations et des canicules, les corps ne sont pas les mêmes, les individus ne disposent pas des mêmes ressources ni même les communautés. Les quartiers et villes sont inégalement pourvus ou défavorisés. Par exemple, Paris est une ville très minérale qui subit massivement les canicules liées au changement climatique.

Le Conseil économique social et environnemental français dans son avis du 27 septembre 2016 sur « La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France » estime que « même limité à 2°C, le réchauffement aura des conséquences notables auxquelles notre société devra s’adapter avec, en l’absence de mesures, le risque que ne se creusent les inégalités entre ceux qui disposent de moyens pour le faire et ceux qui n’en disposent pas ».

Plus qu’un concept, « c’est une nouvelle logique d’élaboration et d’articulation de ces politiques que porte la justice climatique afin de préserver efficacement et durablement le droit à un environnement sain pour tous y compris pour les plus démunis, les plus exposés et les plus vulnérables au dérèglement climatique. ».

2.3. La justice planétaire

L'expression justice planétaire –récemment travaillée grâce à la collaboration entre les spécialistes des sciences naturelles et sociales au sein de la Commission de la Terre– englobe les préoccupations traditionnelles de la justice environnementale, mais souligne que c'est désormais l'ensemble du monde humain et non humain qui est en jeu, et non plus seulement des lieux précis. 

Cette notion traite de justice entre les humains et avec le monde naturel aux différentes échelles du global et du local, des acteurs étatiques et non étatiques, des individus et des collectifs. Guidée par les Objectifs de Développement Durable (ODD) et les principes internationaux des droits humains, la mise en œuvre de la justice planétaire postule que chacun devrait avoir au moins un accès minimum à la nourriture, à l'énergie, à l'eau et aux infrastructures (logement et transport) nécessaires pour mener une vie digne ou pour échapper à la pauvreté en prenant en compte les limites planétaires Réf. biblio.

2.4. Mobilisations socio-environnementales

Face notamment aux inactions multiples, les mobilisations socio-environnementales prennent en charge le changement climatique, et les inégalités observées au sein des groupes et territoires.

Il ne s’agit pas simplement d’expliquer aux individus agissant au niveau du ménage ou du consommateur comment réduire son empreinte carbone. Les mouvements sociaux urbains émergents pour la justice climatique s'appuient souvent sur des réseaux internationaux établis comprenant des militants locaux tandis que d'autres s'inspirent des mouvements autochtones et se concentrent sur les droits de l'homme et les revendications territoriales, l'accès à l'eau, la justice intergénérationnelle, et les mouvements de jeunes et de femmes coordonnés via les médias sociaux. De nombreux groupes de justice climatique existent aujourd’hui, par exemple Climate Justice Action (2008) et Climate Justice Now ! (2007).

Il s’agit de mettre explicitement l'accent sur la justice climatique et ses enjeux à différentes échelles de l’habiter. Selon Trott et al. (2023), parmi 113 études examinant les résultats d'une action collective environnementale soutenueRéf. biblio, seules cinq études se sont concentrées sur la justice environnementale et une seule a mentionné la justice climatique comme objectifRéf. biblio. Il est donc nécessaire de comprendre et de promouvoir des répertoires d'action pour le grand public qui s'écartent des récits néolibéraux sur l'action contre le changement climatique et qui renforcent la capacité de transformation de la société. Les mobilisations pionnières sur les enjeux d’adaptation sont en décalage avec des pouvoirs publics qui ont mis l’accent sur les politiques d’atténuation. Or les enjeux climatiques soulignent la nécessité de différencier la prise en compte des enjeux de justice selon les objectifs d’atténuation et d’adaptation.

  • Pour les politiques d’atténuation, il s’agit de demander les plus gros efforts à ceux qui contribuent le plus au bilan carbone et prendre en compte les impacts régressifs des mesures d’atténuation.
  • Pour l’adaptation, il s’agit de rendre visibles et prendre en charge les inéquités (individuelles et territoriales) face aux trajectoires d’adaptation au changement climatique

Atténuation Adaptation
Définition Réduire la cause du changement climatique d'origine anthropique
S'adapter aux impacts inévitables du changement climatique d'origine naturelle ET anthropique
Échelle du problème
Solution à problème global, mais nécessite une mise en œuvre à toutes les échelles
Solutions à des échelles locales et régionales, mais avec des implications globales (ex. insécurité alimentaire, migrations climatiques)
But politique
Limiter l'augmentation de la température globale bien en dessous de 2°C depuis la Révolution Industrielle (de préférence 1,5°C)
Améliorer la capacité d'adaptation, renforcer la résilience et réduire la vulnérabilité face au changement climatique
Indicateurs-clés de réussite
Quantifiables : par exemple, réduction des gaz à effet de serre
Difficiles à quantifier : par exemple, impacts évités, vulnérabilité réduite, ressources dédiées à des politiques ou des projets spécifiques
Rôles des politiques
Très politisé la plupart du temps
Dépolitisé et technocratique la plupart du temps
Échelle de temps politique
Moyen à long terme
Court à moyen terme (et de plus en plus, long terme)

Biesbroek, Robbert & Lesnikowski, Alexandra. (2018). Adaptation: The Neglected Dimension of Polycentric Climate Governance? Traduction UVED

Exemples de mesures d'adaptation et d'atténuation pour faire face au changement climatique

Exemples de mesures d'adaptation et d'atténuation pour faire face au changement climatique. Source : ICLEI Canada, 2019 - Traduit de l'anglais par UVED

2.5. La notion de capabilité

Dans la lignée de ce travail d’incorporation des initiatives de la société civile dans les politiques environnementales, la mise en avant de la notion de capabilité dès la fin des années 1970 par Amartya Sen, Prix Nobel d’économie en 1998 permet de penser l’égalité à partir d’une liberté de choix et non plus d’un simple accès aux ressources.

Le concept de capabilité critique et prolonge une approche libérale de la justice développée par John Rawls : l’accès aux biens premiers, la levée du voile de l’ignorance et la délibération sur les règles d’équité ne suffisent pas à garantir la justice ; les individus doivent également pouvoir être en capacité d’effectuer les mêmes actions. À ce titre, la capabilité résulte d’une combinaison entre des inclinations personnelles, l’incorporation d’apprentissages par les individus, sur un plan cognitif ou physique, et les ressources extérieures dont ils disposent directement (moyens, biens, infrastructures), ou indirectement, en fonction des contextes sociopolitiques (politiques publiques, législation en vigueur, etc.). Ainsi, cette notion représente une possibilité d’agir et de faire des choix dépendants de fonctionnements désirés ou de biens jugés estimables.

Selon Blanc, Emelianoff et Rochard (2022), bien que l’expression conceptuelle de capabilité renvoie plutôt à une théorie libérale de liberté des choix, du champ des possibles ou d’une saisie d’opportunités par les individus, des travaux plus récents ont mis l’accent sur la dimension collective des capabilités.

  • Le premier rôle des collectifs est ainsi d’être des groupes d’interactions au sein desquels les débats et les possibilités offertes par l’échange et les constructions collectives jouent un rôle dans la définition des objectifs de l’individu et dans leur développement.
  • Un second rôle est de transformer des façons d’être en société, au travers de la réalisation de possibles, pour les individus en interaction dans ce groupe et avec leur environnement.

2.6. Comment représenter les inégalités et mobilisations ?

Les dernières décennies ont été marquées par une certaine convergence économique entre pays, notamment portée par le développement rapide de l’Inde et de la Chine.

En revanche, les inégalités de revenu à l’intérieur des pays ont eu tendance, pendant la même période, à augmenter. Par exemple, aux États-Unis, les revenus des 10 % les plus pauvres ont stagné depuis les années 1980 quand ceux des 1 % les plus riches ont crû en moyenne de 2 % par an.

En considérant à la fois les inégalités entre pays et à l’intérieur des pays, la croissance des revenus depuis 1990 a été très inégalement distribuée. Aux deux extrémités de la distribution, les plus pauvres n’ont que peu bénéficié de cette croissance, tandis que les 1 % les plus riches ont connu une forte croissance de leurs revenus.

Dans le même temps, les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’ont fait que croître, et on observe déjà un réchauffement moyen global de 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle. Les 50% plus pauvres de la planète ne contribuent qu’à 10% des émissions de carbone et les 10% les plus riches contribuent à 50% des émissions de carbone Réf. biblioRéf. biblio.

Ce sont aussi les moins riches qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique (vagues de chaleur, sécheresses, montée du niveau de la mer, …).

Global distribution of 
  population exposed to hyperthermia from extreme heat and humidity

Traduit de : Dodman, D., B. Hayward, M. Pelling, V. Castan Broto, W. Chow, E. Chu, R. Dawson, L. Khirfan, T. McPhearson, A. Prakash, Y. Zheng, and G. Ziervogel, 2022: Cities, Settlements and Key Infrastructure. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 907–1040.

3. Idées d'activités

Étudier les inégalités dans sa ville ou sa région

Les sites suivants mettent à disposition des données qui peuvent être croisées pour lier inégalités sociales et environnementales :

4. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Ouvrages
  • Bullard, R. D., 1990, Dumping in Dixie : Race, class, and environmental quality, Boulder, Westview, 256 p.
  • Jennifer P. Carman, Michaela T. Zint, Defining and classifying personal and household climate change adaptation behaviors, Global Environmental Change, Volume 61, 2020, 102062, https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2020.102062.
  • Valérie Deldrève, Nathalie Lewis, Sophie Moreau et Kristin Reynolds, « Les nouveaux chantiers de la justice environnementale », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 19 Numéro 1 | mars 2019, mis en ligne le 05 mars 2019, consulté le 31 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/24863.
  • Lejeune, C., 2018, L’épreuve de la sobriété imposée: reconnaissance, capabilités et autonomie. Le cas du forum permanent de l’insertion, B., Villalba, L., Semal (dir.), Sobriétés énergétiques: contraintes matérielles, équité sociale et perspectives institutionnelles, Versailles, Quae, coll. Indisciplines, pp. 141-156.
  • Naoufal, Nayla, 2016,  « Connexions entre la justice environnementale, l’écologisme populaire et l’écocitoyenneté  », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement[En ligne], Volume 16 Numéro 1 | mai 2016, mis en ligne le 09 mai 2016, consulté le 14 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/17053
Articles
  • Adger, W. Neil, Tara Quinn, Irene Lorenzoni, and Conor Murphy. 2016. “Sharing the Pain: Perceptions of Fairness Affect Private and Public Response to Hazards.” Annals of the American Association of Geographers 106 (5): 1079–1096. doi:10.1080/24694452.2016.1182005.
  • Agyeman Julian, Schlosberg David, Craven Luke, Matthews Caitlin, 2016, « Trends and Directions in Environmental Justice : From Inequity to Everyday Life, Community, and Just Sustainabilities », Annual Review of Environment and Resources, 41 (1), p. 321-40
  • Comby JB, Malier H. Les classes populaires et l’enjeu écologique : Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses. Sociétés contemporaines. 2022;N° 124(4):37–66.
  • Gulliver, Robyn E., Cassandra Star, Kelly S. Fielding, and Winnifred R. Louis. 2022. “A Systematic Review of the Outcomes of Sustained Environmental Collective Action.” Environmental Science & Policy 133: 180–192. doi:10.1016/j.envsci.2022.03.020.
  • Gupta, J., Liverman, D., Prodani, K. et al. Earth system justice needed to identify and live within Earth system boundaries. Nat Sustain 6, 630–638 (2023). https://doi.org/10.1038/s41893-023-01064-1.
  • Hicks, Kathryn, and Nicole Fabricant. 2016. “The Bolivian Climate Justice Movement: Mobilizing Indigeneity in Climate Change Negotiations.” Latin American Perspectives 43 (4): 87–104. doi:10.1177/0094582X16630308.
  • Trott CD, Gray ES, Lam S, Courtney RH, Roncker J, Even TL. People’s action for climate justice: a systematic review. Local environment. 2023;ahead-of-print(ahead-of-print):1–22.
  • Tsayem Demaze, M., Philippe, C. 2022. Repères et caractéristiques épistémiques de la justice climatique. Nat. Sci. Soc. 30, 1, 14-30.
Sites web
Rapports

5. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Logo de la Fondation UVED Logo du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Elle est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons - 4.0 International : Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions

Licence Creative Commons

Pour la formation continue ou professionnelle, les modalités d’usage sont à déterminer avec UVED et doivent faire l’objet d’un contrat définissant les conditions d’usage et de commercialisation. Contact : s3c@uved.fr

Première édition :  octobre 2023
Dernière mise à jour : décembre 2023