La prise en compte des différentes échelles de temps

Site: Plate-forme d'Enseignement de Nantes Université
Cours: Les modes d'action en anthropocène
Livre: La prise en compte des différentes échelles de temps
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 23 juillet 2024, 00:25

Description

1. A propos de la séquence

Acquis d'apprentissage

  • Identifier les différentes échelles de temps
  • Savoir ce qui les caractérise
  • Comprendre leur importance dans les stratégies mises en œuvre pour rester dans les limites planétaires

2. Les échelles de temps

Les échelles de temps sont déterminantes et indissociables de toute réflexion stratégique afin de demeurer dans les limites planétaires. Différents angles d’approches peuvent être retenus. 

Nous pouvons choisir d’identifier 3 échelles distinctes :

  • Le temps des cycles
  • Le temps linéaire
  • Le temps du changement

2.1. Le temps des cycles

C'est le cycle des saisons, de la rotation de la terre autour du soleil. Il est souvent rattaché aux cycles naturels, propres à l’environnement. Les crues décennales ou centennales traduisent cette vision cyclique du temps.

Cependant à la faveur du changement climatique et du dépassement de plusieurs limites planétaires, les cycles tendent à se contracter, à être plus courts ; les évènements météorologiques extrêmes sont plus fréquentsRéf. biblio. Cela concerne l’enchaînement d’évènements extrêmes, à l’instar de l’enchaînement de sécheresses hivernales et estivales plusieurs années de suite, ou l’enchaînement sécheresse/pluies diluviennes sur un temps court. 

De même, il concerne celui des diverses ressources naturelles, telle l’eau ou encore les ressources minérales, organiques ou métalliques. La course à l’électrification des systèmes de déplacement, de production concentre les intérêts sur les différents métaux et non-métaux indispensables à cette transition. Elle génère des tensions sur l’accès à ces ressources.

2.2. Le temps mesuré

Il est linéaire, telle la flèche de l’arc. Il segmente le temps en passé, présent et futur. Il est celui de la montre, de l’action humaine, de ses réalisations.

Il concerne aussi bien l’installation d’infrastructures, les conditions auxquelles elles seront exposées durant leur usage, que leur devenir en fin de vie, lorsqu’elles seront à l’état de ruines. Ces dernières auront-elles des effets négatifs au-delà de la fin de leur usage, à l’instar des déchets nucléaires enfouis ou de puits de pétrole, ou seront-elle stables ? Ces différentes durées sont à intégrer dès la conception. Il peut s’agir de puits de carbone dits naturels, d’ouvrage d’art pour le transport ou encore de l’ouverture d’une mine de lithium. En l’occurrence, lors de la plantation d’arbres, il convient d’ores et déjà de se projeter dans les 10 à 20 prochaines années afin d’identifier l’espèce qui sera comptable avec les nouvelles conditions environnementales : température, stress hydrique, pathologie, … Il en est de même à propos d’un ouvrage d’art. Il intervient aussi lors de l’ouverture d’une mine. Il importe d’intégrer le temps nécessaire à sa mise en exploitation et le raffinage du minerai au regard des attentes sur ce dernier. En moyenne, une vingtaine d’année est nécessaire pour la pleine exploitation de la mine.

Nous pouvons aussi citer le cas de la transformation d’un outil industriel, voire d’une filière industrielle. Le passage du véhicule thermique au véhicule électrique illustre ce cas. D’une part les usines de fabrication sont concernées, le personnel est en première ligne car le métier est différent, le nombre de travailleurs est moindre. D’autre part, il y a l’ensemble des sous-traitants et des autres activités connexes rattachées au véhicule thermique qui doit également se transformer, voire se développer (ex. le réseau de bornes de recharge). C’est un pas de temps proche de 20 ansRéf. biblio.

L’incitation à mieux isoler son logement ou à acquérir des moyens de chauffage moins dépendant des énergies fossiles connaît un schéma similaire. Il est fait face à une pénurie de main d’œuvre. Les tensions sur les matériaux génèrent des délais d’attentes notables sur la fourniture de certains équipements. Le plan de rénovation énergétique des logements et des bâtiments s’étale sur plus d’une trentaine d’annéesRéf. biblio. Annoncé en 2017, il ambitionne d’atteindre la neutralité carbone en 2050, tout en luttant contre la précarité énergétique.

Il convient également de comptabiliser le temps de pollution des milieux d’où sont extraits les différentes ressources nécessaires pour ces chantiers (cuivre, pétrole, lithium, …), ou du temps de restauration des milieux dégradés par l’extraction. Les périodes se comptent en mi-siècle, quand ce n’est pas sur plusieurs siècles, millénaires ou centaines de millénaires pour les déchets nucléaires.

Dans le même ordre d’idée, il faut prendre en compte le temps des grands cycles naturels que les activités anthropiques perturbent (perturbations qui ont en grande partie inspiré la notion d’anthropocène). Ces cycles d’échanges entre les compartiments du système Terre fonctionnent sur des centaines de milliers ou des millions d’années, à une échelle incomparable à la durée d’une vie humaine (voir séquences sur l'Histoire de la Terre - S3C). Ils sont de ce fait très difficiles à prendre en compte dans l’élaboration des stratégies et des politiques publiques. Et pourtant, ils sont à la base des changements profonds qui affectent déjà et affecteront encore durablement nos conditions de vie à travers les changements climatiques profonds en cours. Cette discordance déstabilisante entre le temps humain et le temps des grands cycles naturels est un frein à l’action efficace et il faut donc que tous les acteurs de la société l’intègrent pour prendre toute la mesure des enjeux.

2.3. Le temps du changement

Le temps du changement, celui du changement de comportement

L’exemple du véhicule électrique a mis en lumière la dimension humaine indissociable des changements profonds qu’appellent l’anthropocène. En particulier, le changement de comportement ne se décrète pas. La mise en place de nudges, incitations ou autre dispositif extérieur ne garantit pas le changement de comportement de l’individu. Les critiques vives que suscitent le déploiement des ZFE (zones à faible émission), bien que répondant à un souci de santé, témoignent des difficultés rencontrées par les usagers que ce soit le changement de véhicule afin de respecter les critères ou le recours aux transports collectifs, voire à des modes doux tel que le vélo, quand ces deux moyens sont disponibles. Le changement de comportement requiert un accompagnement. Il n’est pas exempt d’échec.

Les psychologues James O. Prochaska et Carlo Diclemente, dans leur modèle transthéorique de changement (1983), du changement ou de la disposition au changement, identifient différentes étapes. Pour accompagner une personne dans son désir de changement, il faut tenir compte du stade où elle se trouve. À chaque étape correspondent des modes d’intervention adaptés. Ce modèle a initialement été développé pour accompagner les personnes consommatrices de substance. Il est aujourd’hui utilisé dans l’outil « les conversations carbone » qui permet d’accompagner au changement des petits groupes. Le déploiement s’étale sur 6 mois.

Une autre approche repose sur les attachementsRéf. biblio. Elle est au cœur de la pratique de redirection écologique. A l’instar de la mise en œuvre des conversations carbone, réaliser les enquêtes pour révéler les attachements, définir conjointement les protocoles de renoncement et construire les critères pour de nouveaux attachements requiert du temps.

Cette dimension temporelle du changement, du désattachement & réattachement est généralement oublié, voire occulté des stratégies d’adaptation et d’atténuation. Elles sont centrées sur les outils techniques, la dimension technologique.

2.4. L'approche des 3 horizons

Afin d’agir, il importe de prendre en compte différents pas de temps, comme évoqué plus haut. Certaines solutions entrainent des effets rebonds ou sont une maladaptation. Comment opérer le bon choix, sachant que les crédits investis sont souvent publics.

L’approche des 3 horizonsRéf. biblio, théorisée par Bill Sharpe offre un cadre conceptuel pour positionner des technologies, des modes d’organisation, des modèles économiques selon les paradigmes qu’ils sous-tendent.

  • L’horizon 1 (H1) représente le paradigme actuel ou encore le «business as usual». Il est condamné à moyen terme. Plus on investit, moins il est rentable. Il importe d’identifier les signes qui traduisent la fin de vie du paradigme. A titre d’exemple, c’est le véhicule individuel thermique.
  • L’horizon 3 (H3) représente le paradigme émergent ou encore les signaux faibles. Il est le nouveau paradigme, comparativement à celui de H1. Il se caractérise par des réorganisations structurelles radicalement transformatrices. Reprenant le sujet de la mobilité, cela pourrait être la ville du ¼ d’heure.
  • L’horizon 2 (H2) représente la transition entre H1 et H3. Beaucoup d’expérimentations, d’innovations seront lancées. Certaines (H2+) amorcent H3, d’autres (H2-) font perdurer H1 :
    • H2+: ébauche d’organisations, de pratiques, technologies qui esquissent de nouvelles manières de faire, d’interagir, de construire.
    • H2-: maintien du paradigme dominant sous une autre forme: le véhicule électrique individuel relève de H2-.
Graphique présentant les 3 horizons

Source : Sharpe, B., A. Hodgson, G. Leicester, A. Lyon, and I. Fazey. 2016. Three horizons: a pathways practice for transformation. Ecology and Society 21(2):47. Licence CC BY SA 4.0

Ce découpage des horizons de paradigmes, croisé aux projections climatiques, à l’état des ressources, au contexte géopolitique, permet d’interroger la pertinence de choix organisationnels, financiers et technologiques. Il met en lumière la phase transitoire H2, qui permet de passer de H1 à H3.

Ainsi, parallèlement à la prise en compte de pas de temps différents (construction d’une infrastructure, redirection d’une filière économique, changement de comportement des individus), il importe de positionner les choix et orientations qui seront pris sur ce diagramme. Ou se positionne tel modèle d’organisation, qui véhicule tel technologie etc… Ceci apporte un éclairage sur les trajectoires qui sont retenues. S’agit-il d’entretenir H1 et de perdre des crédits ? Ou le choix relève-t-il de H2- afin de ne pas accentuer une fracture sociale ou occasionner la fermeture brutale d’entreprises ? Dans ce contexte, il importe de saisir ce temps pour préparer H2+ et H3, identifier les leviers, technologies, organisations pour effectuer cette bascule et ne pas se contenter de solutions intermédiaires qui perpétuent un ancien paradigme.

Toutefois, ceci suppose de discuter, de débattre ensemble afin de convenir de ce qui est positionné sur la trajectoire H1, H2 avec les nuances H2- et H2+ et ce qui appartient à H3. Ce préalable est clé pour créer une communauté pleinement mobilisée en faveur du changement. Il contribue à révéler ce qui tient aux membres du collectif, ce par quoi chacun est tenu, ce à quoi chacun tient. C’est un travail d’enquête nécessaire pour effectuer des choix, appréhender ce qui est à abandonner, ce qui sera à transformer, ce qui sera à créer, ce qui est à éviter absolument.

3. Ressources complémentaires

Références bibliographiques / webographiques

Articles
Sites web
Rapports et plans

4. Crédits

Cette leçon fait partie du Socle commun de connaissances et de compétences transversales sur l'anthropocène (S3C), produit par la Fondation UVED et soutenu par le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Logo de la Fondation UVED Logo du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Elle est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons - 4.0 International : Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions

Licence Creative Commons

Pour la formation continue ou professionnelle, les modalités d’usage sont à déterminer avec UVED et doivent faire l’objet d’un contrat définissant les conditions d’usage et de commercialisation. Contact : s3c@uved.fr

Première édition :  octobre 2023