2. Au cœur de notre vie quotidienne

2.2. La comptabilité, c’est politique. Vraiment ?

Très souvent, la comptabilité est perçue, ou connue, uniquement comme une tâche qui consiste à saisir des montants monétaires (en euros, dollars, …) dans des cases et selon des procédures que l’on ne comprend pas forcément d’ailleurs. A ce titre, elle semble n'être qu'une simple technique de gestion « froide » et calculatoire.

Et pourtant, en déroulant les 4 étapes par lesquelles les sociétés humaines s’organisent pour répondre à leurs besoins quotidiens, ce sont les 4 fonctions historiques de la comptabilité qui se sont dévoilées, à savoir :
Prendre en compte ce qui est important et significatif

Prendre en compte, c’est décrire la nature des effets de l’activité d’une organisation dont celle-ci doit être responsable (effets sur le capital financier? sur les entités naturelles et les personnes humaines ?). Ceci implique de traduire et classifier les qualités de ce qui est à préserver (pérennité de l’activité, profitabilité pour les apporteurs de capitaux, qualité des milieux naturels et humains, …), pour classifier en cohérence les opérations, flux et stocks par lesquels suivre et adapter les actions menées pour leur préservation.

Être comptable de ses actions = régime de responsabilité

Être comptable de quelque chose signifie, selon l’acception première du mot comptabilité, exercer sa responsabilité. Ceci implique une re-compréhension des relations de droit et de redevabilité internes à l’organisation, mais aussi vis-à-vis de ses territoires de vie économique, environnementale et sociale. En fonction de ce qui est “pris en compte”, différents objectifs de préservation (du capital financier, mais aussi de la nature et des être humains) peuvent être fixés, ce qui conduit à repenser ce qu’est la performance de l’organisation.

Compter pour mesurer et représenter collectivement

Compter, c’est utiliser des règles de calcul, mais c’est avant cela choisir des conventions et d’interprétation par lesquelles prendre la mesure de ce dont on souhaite être responsable, et représenter les enjeux liés, pour prendre des décisions. La comptabilité va ainsi permettre de comprendre et donc gérer ce qu’il se passe. Il va être nécessaire de pouvoir dimensionner, évaluer les “forces” à l'œuvre, qu’il s’agisse des flux annuels de ventes ou de dépenses (en valeurs monétaires), des quantités de matières ou d’énergie consommées (en valeurs physiques : kg, kwh, …), des personnes ayant contribué aux activités (nombre, rémunération, qualification, accidentologie, …), mais aussi, dans le cas d’une comptabilité écologique, des pressions et des impacts engendrés par ces activités sur ces personnes et sur les milieux naturels sur lesquels l’organisation s’appuie pour fonctionner.

Rendre compte - pour dialoguer - pour décider - légalement

Rendre des comptes implique de produire de nouvelles représentations pour communiquer en interne et externe sur la redirection de l’organisation et la transformation des interactions sociales, environnementales et économiques avec son milieu, en articulation coordonnée avec les autres organisations qui elles aussi se redirigent et transforment leurs compétences. Le défi, dans un tel cas de figure, sera de relier sans les confondre différentes unités biophysiques et monétaires qui reflètent des points de vue variés devant être mis en dialogue.

Du fait de ces 4 fonctions historiques, la comptabilité constitue en quelque sorte l’architecture des activités humaines, organisées ou à organiser. Elle ne peut pas exister par elle-même. Elle n’existe qu’au sein de sociétés humaines qui s’organisent en se donnant des règles de vivre ensemble. Ces règles, formelles et informelles, traduisent elles-mêmes une vision du monde, un rapport au monde, qui diffère d’une société à l’autre.

C’est donc à travers le cadre légal et normatif dans lequel la comptabilité doit fonctionner qu’elle remplit de fait un rôle politique. En effet, à travers elle, les sociétés humaines définissent ce qui est important pour elles ; qui est responsable, envers qui et pourquoi ; comment évaluer ce qu’on veut prendre en compte ; qui sont les destinataires principaux de ces informations organisées. En conséquence, les questions liées à la comptabilité, notamment quand elles touchent ce qui la fonde (ses 4 fonctions historiques), concernent chaque citoyenne et chaque citoyen.