2. Pourquoi étudier une controverse ancienne ?

2.4. L'importance du contexte : la renommée, la rigueur... et l'ignorance

L’avantage de Kelvin sur Darwin est d’autant plus marqué que Kelvin est l’un des scientifiques les plus réputés de l’époque, au point d’avoir été élevé au rang de Lord. Il est notamment l’auteur du système de mesure des températures absolues (d’ailleurs mesurées en ° Kelvin). Il s’appuie sur les outils les plus modernes de l’époque : mesures des caractéristiques du globe terrestre, du soleil, sur des équations complexes de la thermodynamique naissante. Bref, son travail est sérieux et ne semble pas pouvoir être remis en question.

Darwin bénéficie certes d’une célébrité importante, mais pas d’une réputation qui fait l’unanimité comme celle de Kelvin. Ses travaux sur l’évolution remettent en cause des dogmes religieux (origine de l’Homme), ce qui n’est pas le cas des travaux de Kelvin. Prendre le parti de Darwin peut être socialement difficile à assumer dans l’Angleterre victorienne.

Pourtant, ces deux sommités scientifiques ignorent encore beaucoup sur les sujets qu’ils étudient. Darwin le concède souvent et douloureusement lorsque la compréhension d’un mécanisme évolutif semble échapper à sa théorie. Il n’a pas eu la chance de lire les premiers travaux de Grégoire Mendel sur la génétique qui lui auraient été si utiles…

Kelvin laisse aussi la place au doute, mais de façon plus discrète, en évoquant par exemple que les réactions à l’œuvre dans le soleil sont liées à l’effondrement gravitationnel… « sauf source inconnue ». Et il y a bien une source inconnue : la radioactivité qui n’a pas encore été découverte. Mais Kelvin a aussi fondé son évaluation sur des hypothèses fausses, en particulier sur la structure de notre planète qu’il imagine uniformément solide, ce qui n’est pas le cas et change radicalement le résultat de ses calculs.

La division sur la question de l’âge de la Terre perdurera pendant des décennies et ne sera définitivement tranchée qu’au milieu du XXe siècle, lorsque la découverte de la radioactivité et de la radiochronologie (la datation par éléments radioactifs) permettra de découvrir l’âge de la Terre, aujourd’hui établi avec une bonne précision à 4,56 milliards d’années et de démontrer que Kelvin avait tort face à Darwin. Mais bien avant cela, dès la fin du XIXe siècle, face à la masse considérable de preuves apportées par la géologie sur l’âge ancien de la Terre, nombreux seront les scientifiques à remettre en cause les hypothèses de Kelvin, y compris dans son entourage.