2. La représentation du monde depuis l'Antiquité

2.1. La rupture de la Genèse : création du Monde et d'un humain image de Dieu

C'est l'ensemble de ce système de représentation qui va être peu à peu remis en cause au cours des siècles. La thèse de l'historien américain Lynn White est particulièrement intéressante sur le sujet, même si elle est très controversée (le pape lui-même prendra la plume pour montrer sa fausseté dans son encyclique « Sur la sauvegarde de la maison commune »). En effet, dans une conférence en 1966 devant un parterre de scientifiques américains, puis dans un article publié en 1967, il soutient que le basculement écologique que nous vivons s'explique par la rupture qu'introduit la Bible, et notamment la Genèse, dans les représentations des rapports entre Homme et Nature.

Lynn White fonde son analyse sur l'idée que « ce que les gens font de leur milieu écologique dépend de la façon dont ils perçoivent leur relation aux choses qui les entourent ». Certes, on a inventé en Occident une nouvelle charrue permettant de retourner beaucoup plus efficacement la terre qu'auparavant mais cette invention technique comme les suivantes ont été permises, selon lui, par une nouvelle représentation des relations entre humains et Nature dont Lynn White voit l'origine dans le texte de la Genèse. Voici ce que dit ce texte, sans doute écrit autour du Ve siècle avant JC.

1.26 : Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

1.27 : Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu ; il créa l'homme et la femme.

1.28 : Dieu les créa et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre

La Genèse propose un récit de la création du Monde où Dieu fait l'Humain à son image et lui demande de dominer et d'assujettir la Nature et les autres espèces. Le judéo-christianisme – « la religion "la plus anthropocentrique" à avoir jamais existé » selon White – aurait ainsi introduit une nouvelle cosmologie, c'est-à-dire une nouvelle manière de représenter l'Humain dans la Nature, à la place de celle qui existait. Dans cette nouvelle cosmologie, l'Humain est créé à part de la Nature, transcendant à elle et ayant pour vocation de la transformer pour ses propres fins.

Nous avons le sentiment de ne pas être partie prenante d'un processus naturel. Nous nous sentons supérieurs à la Nature, nous la méprisons, nous voulons l'utiliser pour satisfaire le moindre de nos caprices.

— Lynn White, Les racines historiques de notre crise écologique, 2019

Selon White, la Nature, création de Dieu, a été en même temps vidée des esprits qui l'habitaient dans l'Antiquité, ce qui a permis son exploitation. Le judéo-christianisme est donc selon lui le terreau à partir duquel toutes ces nouvelles idées – y compris l'idée d'un temps orienté avec un début, la création du Monde, et une fin, la Fin des temps – ont peu à peu essaimé et se sont diffusées au long du Moyen-Âge occidental. Il affirme que la croyance judéo-chrétienne implicite en un progrès continu était inconnue à la fois de l'Antiquité Gréco-romaine et de l'Orient Ancien. Lynn White montre finalement comment ce texte ancien – la Genèse – a eu des effets tout au long des siècles suivants en autorisant certaines idées et pratiques qui n'auraient pas été acceptées auparavant.

Il rend ainsi également responsable la Modernité et en particulier deux auteurs : Francis Bacon et René Descartes.