2. L'évolution de la croissance

2.1. Les facteurs de ce changement

Les facteurs explicatifs de ce changement majeur sont légion et les thèses sujettes à débat.

  • Keynes considérait que l'origine de l'ensemble du processus datait de l'accumulation de capital provoquée au XVIe siècle par l'arrivée en Europe de l'or et de l'argent du Nouveau Monde.
  • Angus Maddison met de son côté l'accent sur une pluralité de causes et notamment sur les facteurs socio-institutionnels apparus progressivement durant la Renaissance et le siècle des Lumières : parmi ceux-ci, « le fondement le plus important fut la reconnaissance de la capacité humaine à transformer les forces de la nature par le biais de la méthode scientifique rationnelle et de l'expérimentation. C'est en effet à partir du XVIIe siècle que les élites occidentales ont abandonné la superstition, la magie et la soumission à l'autorité religieuse ». On reconnaît ici l'influence des travaux du sociologue allemand Max Weber qui a souligné dans ses oeuvres l'importance déterminante du processus de rationalisation et de désenchantement du monde dans le développement du capitalisme.
  • Pour Weber, la domination de la magie a constitué l'un des freins les plus puissants à la rationalisation de la vie économique : elle implique en effet une « attitude stéréotypée face à la technique et à l'économie ». Weber donne l'exemple d'un conflit en Chine, à propos de la construction de voies de chemins de fer et d'usines vivement critiquée parce qu'elle risquait, dans certains sites, de perturber le repos des esprits.

Le sociologue avait relevé d'autres conditions nécessaires à la naissance du capitalisme, avec pour corollaire l'augmentation de la production ; en premier lieu « l'usage d'un compte de capital rationnel comme norme », c'est à dire un dispositif permettant à toutes les grandes entreprises lucratives de calculer leurs coûts de production, et visant leur rentabilité. Cela n'est pas sans lien évidemment avec le développement, au milieu du XXe siècle, de la comptabilité nationale - qui ne fera qu'organiser et systématiser au niveau national cet usage. Weber ajoute que cette condition présuppose elle-même : une appropriation de tous les moyens matériels de production par des entreprises lucratives autonomes privées qui en ont la libre jouissance ; la liberté du marché ; une technique rationnelle (c'est-à-dire calculable) tant en ce qui concerne la production que le trafic ; un droit rationnel (c'est à dire lui aussi calculable) ; le travail libre ; une commercialisation de l'économie.

Maddison, synthétisant les nombreux travaux consacrés à ces questions, continue ainsi son recensement des facteurs explicatifs de la croissance :

« Le second pilier commun de la civilisation capitaliste occidentale était la vision qu'elle donnait au rôle de l'entrepreneur. L'abolition des contraintes féodales sur l'achat et la vente des propriétés, la création d'un système légal non discrétionnaire de protection des droits de la propriété, le développement d'un système de comptabilité et de codes de commerce rendirent possible l'exécution des contrats sur une plus large échelle et permirent un calcul rationnel des profits et des pertes. Enfin, l'accroissement du nombre d'institutions et d'instruments financiers dignes de foi contribua à atteindre ce but plus rapidement; les perceptions d'impôt devinrent plus prévisibles et moins arbitraires »

— Maddison