2. De quoi s'agit-il ?

2.1. Histoire du concept d’inégalité environnementale

Le lien entre environnement et inégalités socio-économiques est d’abord peu mis en avant dans les premiers mouvements de protection de la nature. Ce lien est mis au jour dans les années 1960-1970 par les néo-malthusiens et tenants du développement durable. Parmi eux, Paul Ehrlich publie, en 1968, The Population Bomb, reconnaissant que la surpopulation est un facteur de dégradation environnementale.

Le concept de « justice écologique » a quant à lui fait son apparition lors de protestations contre l’implantation d’un site d’enfouissement de déchets toxiques dans l’État de Caroline du Nord aux États-Unis, à Warren en 1982. Les gestionnaires de déchets choisissaient en effet de placer leurs exploitations dans des communes pauvres et souvent habitées par des minorités ethniques, ces populations étant reconnues comme ayant une faible compétence politique, et donc moins enclines à protester contre l’implantation de ce type de site. Dans le cas de Warren, la commune était composée à 65% d’afro-américains.

La justice environnementale aux États-Unis se concentre davantage sur les effets d’un environnement délétère sur la santé et la qualité de vie des minorités. La justice environnementale en Europe se concentre quant à elle davantage sur les liens entre inégalités spatiales et géographiques et les inégalités environnementales. Cette différenciation de la focale entre les deux continents résulte de caractéristiques socio-historiques et politiques (Charles et al., 2007).

Enfin dans les pays du Sud, les mouvements de justice environnementale, et in extenso la perception des inégalités environnementales sont le fait de communautés de paysans, d’artisans protestant contre la dégradation ou la disparition de leurs conditions d’existence induites par le développement de secteurs industriels et miniers (Kurien, 1992). Les inégalités environnementales sont dès lors davantage comprises comme des inégalités d’accès à des ressources clés pour la survie des populations (comme ce fut le cas à l’occasion de la sécheresse qu’a connue l’Uruguay lors de l’été 2023 lors de laquelle la majorité de la population a dû boire une eau salée afin de ne pas épuiser trop vite les ressources en eau).

Il existe quatre dimensions des inégalités environnementales (Laigle L., Oehler V., 2004) :

  • Les « inégalités territoriales » faisant référence aux différences de qualité des territoires et à une répartition inégale des populations sur ces territoires. Il s’agit de comprendre l’ancrage historique et socio-économique d’un territoire comme conditionnant les voies possibles de son développement
  • Les « inégalités d’accès à l’urbanité et au cadre de vie » visant à décrire les inégalités en matière de mobilité en ville, d’usage des espaces et biens publics, d’accès aux services ainsi que les contraintes inhérentes au choix du lieu de résidence
  • Les « inégalités par rapport aux nuisances et aux risques ». Les risques ici concernés sont naturels, technologiques, industriels. Les inégalités de production, d’exposition, de perception aux nuisances (sonores, atmosphériques, des sols, etc.) sont ici visées, ainsi que l’accès inégal à l’information sur les risques encourus ainsi que le traitement de ces risques
  • Les « inégalités dans la capacité d’action et d’interpellation de la puissance publique pour la transformation du cadre de vie ». Se référant davantage au pouvoir politique, ces inégalités se concentrent sur la place et le rôle des habitants, des associations, des acteurs politiques et économiques dans les médiations et décisions, notamment dans la conception et la réalisation de projets d’aménagement du cadre de vie. Il s’agit ici des inégalités liées à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’environnement.