Les inégalités environnementales en ville
2. Historicité de la question
Les inégalités environnementales sont fort anciennes, présentes par exemple dans la Rome antique et tout au long de l’histoire. Elles structurent l’occupation et l’aménagement des milieux urbains, entre les bas et les hauts quartiers, les ruelles étroites, sales et cacophoniques et les villas au vert des patriciens, ou plus tard les « folies » aristocratiques en périphérie. L’environnement urbain reflète les organisations humaines et fait l’objet de régulations plus ou moins effectives selon les époques : assainissement et adduction d’eau, évacuation des déchets, verdissement et protection d’espaces naturels et boisés, interdiction de circulation des charrettes en journée (loi de Jules César pour Rome), assèchements, polders, canalisation et rectification des cours d’eau, déplacement des activités polluantes hors les murs, dédensification, avant la vague actuelle de politiques de re-densification, développement durable, transition, renaturation, adaptation au changement climatique, résilience, économie circulaire, etc.
Néanmoins ces aménagements ne bénéficient pas à tous les groupes sociaux, tandis que les installations polluantes, les infrastructures ou équipements indésirables sont un trait distinctif des quartiers ou îlots défavorisés, soit que les populations n’aient pas les moyens de les refuser, soit qu’elles y trouvent parfois refuge (bidonvilles, camps de gens du voyage).
André Feigeles - Wikimedia Commons |
Xavier Caré - Wikimedia Commons |
Le processus de déport des pollutions, risques et nuisances s’observe en
fait à deux échelles, locale et globale. En effet les politiques
environnementales occidentales menées à partir des années 1970 ont
déplacé les externalités environnementales sur
des territoires qui n’étaient pas soumis aux mêmes régulations, à
savoir les villes des pays en développement. Industries énergivores et
polluantes, stockage ou traitement des déchets, activités extractives
ont créé des univers urbains où l’accès
(très variable) à la consommation s’assortit d’un prix
environnemental et sanitaire élevé.
On comprend dès lors que les inégalités environnementales urbaines sont essentiellement le produit des politiques publiques, que ce soit dans les nords ou les suds. En vertu d’une approche techno-centrée de l’environnement, les politiques environnementales ont souvent été régressives sur un plan social, en ignorant les enjeux de justice liés aux problématiques environnementales. L’étanchéité entre questions environnementales et sociales a permis au statu quo de fonctionner sans entraver le modèle économique productif, c’est-à-dire sans mettre en cause ses conséquences socio-environnementales. Cette dissociation a eu un autre effet redoutable : elle a rendu les politiques environnementales et la transition écologique illégitimes aux yeux d’une bonne partie de la population, qui n’en bénéficie pas et/ou en redoute les effets. Une fois écarté le danger, la croissance économique et le techno-solutionnisme ont repris leur cours imperturbable, avec leur cortège de conséquences délétères en termes écologiques, sociaux et politiques. Une écologie impopulaire a grandi ainsi dans l’ombre de l’indifférence aux écologies populaires, délégitimant et paralysant l’action environnementale avec plus d’efficacité que tous les lobbyistes et marchands de doute réunis.