2. Historicité de la question

2.3. Des inégalités urbaines peu conscientisées et en attente de politisation

Les chassés-croisés de populations qui s’intensifient et s’intensifieront dans une période de destruction écologique, la colère et l’éco-anxiété des jeunes générations les plus informées, les incidences considérables sur un plan politique et psychique de ces évolutions, ne changent rien à l’affaire : les inégalités environnementales urbaines restent peu conscientisées et politisées. Les ressources et menaces environnementales sont en effet tributaires des perceptions, sensibilités et représentations, des informations et connaissances dont sont dotées les populations. Elles sont avant tout socioculturelles et subjectives, bien que leur matérialité affecte durement la santé, les conditions de vie, l’espérance de vie et la possibilité de déployer une vie qui a du sens.

L’invisibilisation des risques et des nuisances, ou le déni, ont souvent occulté les inégalités environnementales, au motif de la préservation de l’emploi, comme le montre par exemple le film intitulé « Rouge », réalisé par Farid Bentoumi en 2020 URL externe. Les élus des communes défavorisées ont considéré les installations polluantes comme des sources importantes de revenus qu’ils n’auraient pas eu les moyens de refuser -d’autant que les syndicats, les partis, les ouvriers ou les médecins du travail ne s’y sont pas ouvertement opposésRéf. biblio, se satisfaisant de compensations financières liées à la taxe professionnelle. Un second effet de masque est dû à l’ancrage territorial de l’habitant.e., à son attachement au lieu et à l’usine, à la vie de quartier, qui forgent une identité spatiale, un sentiment communautaire, une loyauté. La valorisation de l’environnement quotidien l’emporte alors sur les représentations négatives des lieuxRéf. biblio.

Briser le mur du silence nécessite un ou des accès à l’information et à la connaissance qui sont eux-mêmes profondément inégalitaires, et qui peut se révéler d’autant plus inconfortable que les contraintes qui pèsent sur la vie quotidienne sont fortes. Passé un certain seuil de conscience, d’inégales capacités de défense entrent en jeu : interpellations ou actions politiques, recours juridiques, conduites d’évitement, d’autoprotection, fuite ou médicamentation, par exemple. Les groupes sociaux et les individus transforment aussi directement leur environnement pour en accroître les ressources (physiques et/ou psychiques) ou en atténuer les menaces, in situ ou encore en migrant. 

La restauration de qualités environnementales par les populations elles-mêmes est sans doute l’une des rares réponses politiques existantes face aux inégalités environnementales, et peut enclencher un processus d’empowerment écologiqueRéf. biblio. Elle concerne ceux qui n’ont pas les moyens ou la volonté de fuir la dégradation de leur environnement de vie ou de travail, et qui tâchent de faire face là où ils sont. Les capacités de fuite et mobilité d’une part, de mobilisation politique ou infra-politique de l’autre, déterminent au final le paysage des inégalités environnementales urbaines.